Mystérieuse Juliette Bates
Quel est votre parcours de photographe ?
C’est après avoir étudié l’histoire de l’Art et de la photographie à l’Université jusqu’en Master que je me suis inscrite en école de photo. En sortant de l’école en 2011, j’ai reçu quelques prix qui m’ont permis de faire connaître mes images et de les exposer.
Quelles ont été les étapes importantes de votre apprentissage photographique ?
L’école a été une étape importante qui m’a permis de tout expérimenter : du reportage en film diapo à la conception de site web, en passant par le graphisme, la retouche et les cours de studio à la chambre 4×5 inch. En première année, l’argentique était imposé, avec un boitier uniquement manuel, et nous avions une dizaine d’heures de labo noir et blanc par semaine, alors que toutes les autres écoles abordaient presque exclusivement le numérique dès la première année.
J’ai pu suivre aussi quelques stages formateurs, notamment dans le domaine de la post-production (tirages argentiques et numériques, traitement de l’image…) mais aussi de la conservation de photographies anciennes. Après l’école, j’ai travaillé comme assistante puis comme Studio Manager pour Simon Procter, un photographe de mode anglais basé à Paris.
Aujourd’hui, sur quoi travaillez-vous ?
Aujourd’hui, je partage mon temps entre travaux de commande et la préparation d’une nouvelle série. Comme pour “Histoires naturelles”, il s’agira d’une fiction narrative mêlant mises en scènes et natures mortes, cette fois-ci autour du thème de l’alchimie, de l’idée transformation, de création, et de confrontation de l’Homme avec la Nature et les éléments. C’est un sujet passionnant et très dense qui nécessite beaucoup de recherche et de documentation, d’autant plus que je m’attache à ne rien laisser au hasard.
Comment se répartissent votre travail de commande et vos travaux personnels ?
En général, les travaux de commande me prennent beaucoup de temps, car je m’investis autant que s’il s’agissait de travaux personnels. Travailler pour un client est très stimulant, et les commandes me permettent souvent de rebondir sur de nouvelles idées pour mes travaux personnels, que je note dans un carnet pour plus tard. Ce n’est que lorsque les clients m’oublient un peu, que j’arrive enfin me consacrer à mes propres images !
Qui sont vos clients aujourd’hui ?
Je produis et vends des images à des maisons d’édition (l’Olivier, Points, Laurence King Publishing…), à la presse française et étrangère (Libération, Causette…), pour l’horlogerie de luxe (Omega Watches), mais aussi à des collectionneurs, et des particuliers qui me sollicitent pour des projets sur mesure.
Quels sont les photographes qui vous ont influencé ou dont vous suivez le travail ?
Quand je cherchais une façon de traiter « histoires naturelles » je passais beaucoup de temps en bibliothèque à regarder des ouvrages sur le Symbolisme, les estampes d’Hokusai et d’Hiroshige, la peinture de Vilhelm Hammershoi. Ce sont les arts picturaux qui influencent d’abord mon regard. Je crois que j’aurais été peintre ou illustratrice, si je n’avais pas été photographe. Mais je pourrais ensuite citer les photographes Robert & Shana ParkeHarrison, pour leurs images en couleur, et le japonais Masao Yamamoto, dont j’adore l’humilité et la poétique de ses haïku photographiques. J’aime aussi suivre le travail brillant et sensible de Dorothée Smith.
Pouvez-vous raconter la genèse de « histoire naturelles », vos choix artistiques ?
J’ai eu envie de concrétiser cette série après la visite de l’expo « C’est la vie ! » au Musée Maillol en 2010, qui offrait un panorama du thème des « Vanités » à travers les époques. J’avais beaucoup aimé l’exposition mais je trouvais qu’il manquait un regard un peu différent sur ce thème : une vision un peu moins attendue, plus lumineuse, plus légère, qui au lieu d’être uniquement axée sur l’humain, se porterait sur le vivant en général, ce qui inclue donc toutes les autres formes de vie, les espèces, le végétal. Ça m’amusait de traiter avec légèreté un sujet aussi tabou que la mort.
Vous semblez avoir un goût certain pour le gothisme et les cabinets de curiosités? Qu’est-ce qui vous inspire ?
Je parlerais plutôt d’une sensibilité pour l’étrange et le mystère qui me vient de l’enfance. Les cabinets de curiosités se rapportent à tout ce qui m’attire et me fascine depuis (presque) toujours : les collections, l’animal et le végétal, le contre nature, l’étrange. En prime, tout cela s’apparente aux notions d’éphémère, d’anormalité, de conservation et de fragilité qui m’intéressent particulièrement.
J’aime aussi chiner, et bien souvent, ce sont des objets insolites qui m’inspirent des images.
Actuellement, pour ma prochaine série, je lis, étudie et digère des textes occultes anciens.
Cette série se poursuit-elle aujourd’hui ?
Non, cette série est bel et bien achevée. Elle correspond à une période donnée. Mes envies évoluent au fil du temps, et sont assez différentes aujourd’hui.
Pouvez-vous décrire votre façon de travailler ? Est-ce que vous préparez minutieusement vos séries ?
Je fais toujours beaucoup de recherches en bibliothèque et de croquis préparatoires. C’est une phase que j’adore, qui m’est indispensable, probablement à cause de ma formation universitaire et aussi car c’est important pour moi que le moindre détail fasse sens.
Pour chaque série, j’utilise une boîte dans laquelle je dépose des notes, des carnets, des croquis, un genre de storyboard, des lectures, des photos de repérages, des objets. Une fois que le contenu est suffisant et satisfaisant, vient alors la réalisation. J’aime avoir une idée précise et globale de ce que je vais faire avant d’entamer une série.
Quelle place tient la retouche d’image dans vos projets ?
J’essaie de l’utiliser le moins possible, de la faire discrète, mais c’est bien souvent ce qui me permet de terminer une image. La retouche n’est surtout pas une fin en soi, mais elle permet aussi de retrouver une certaine liberté, de déjouer les contraintes du réel qui ne convient pas toujours à l’image mentale qui pré-existe.
En général, ma retouche se résume à un travail de chromie, du contraste, et à effacer quelques subterfuges comme des bouts de fils de pêche pour suspendre des objets.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans la photo ?
La photographie est un médium protéiforme, et est pour moi synonyme de liberté. On peut la pratiquer en solitaire, et elle permet de traiter tous les sujets et les domaines possibles et imaginables. Si par exemple demain je souhaite peindre ou dessiner sur mes images, ou au contraire revenir à la photographie pure et faire mes propres tirages, c’est possible aussi. Cela ne m’empêchera pas de répondre à des commandes pour des marques ou la presse, à partir du moment où le projet est en accord avec mon univers.
Comment qualifierez-vous votre travail ?
Pas facile d’y répondre. Si je devais prendre du recul et mettre des mots sur mon travail je dirais « épuré, froid, obsessionnel, contrasté, surréaliste ». Pour l’instant, c’est ce qu’il ressort quand je m’applique à produire une image.
Quel matériel utilisez-vous ?
En général, pour le numérique, j’utilise un Canon 5D Mark III, et pour l’argentique, un Hasselblad 500c. Sinon, je ne pars plus jamais en vacances sans mon petit Olympus XA, qui est le plus pratique et le plus joliment cheap des appareils « point and shoot ». Dans ces conditions j’adore bâcler mes cadrages et gâcher de la pellicule pour le plaisir de laisser faire le hasard; ça me change et c’est reposant.
Comment vous faites-vous connaître ?
Je n’ai jamais cherché à me faire connaître autrement qu’en créant un site internet, en postant quelques travaux sur Behance, et en participant à quelques concours et prix. Le reste s’est fait presque tout seul, notamment grâce aux publications et à la diffusion spontanée sur les réseaux sociaux, ainsi qu’au travail remarquable de la galerie Esther Woerdehoff qui soutient mon travail depuis 2013.