L’avenir du design (et comment s’y préparer)

Illustration d’Atipus

Guide pratique pour se repérer dans les prochaines évolutions du monde du design par MattMcCue et Kiana St Louis

Difficile de se projeter clairement l’avenir du design !

Les technologies évoluent à un rythme rapide. Il y a cinq ans, les plateformes mobiles figuraient tout juste dans la stratégie d’une entreprise. Désormais, elles sont au centre de son avenir. Qui peut donc prédire exactement quand la réalité virtuelle et la robotique occuperont une place plus importante ? Des outils en évolution rapide, comme ces deux dernières innovations, et la modification constante des règles du jeu rendent les prévisions presque impossibles : le gadget dont personne ne pourra se passer dans 10 ans n’a probablement même pas encore été inventé. Reste aussi la question de l’évolution des carrières. Le parcours classique, qui consistait à monter les échelons d’une entreprise unique pendant toute la durée de sa vie professionnelle, a été bousculé par des professionnels qui associent des compétences généralement perçues comme incompatibles, telles que le design et la programmation informatique. Ils se bâtissent des carrières hybrides et totalement originales en prévision des besoins du marché de demain.

C’est pourquoi nous avons contacté des visionnaires et des experts du monde du design pour leur demander à quoi ressemblera leur paysage professionnel dans les 10 prochaines années, quand la définition même de designer s’assouplira et que les sociétés feront appel à cette profession pour repenser leur structure, leur fonctionnement et la répartition du travail au sein des équipes.

Nous allons connaître un âge d’or, débordant de possibilités ahurissantes, merveilleuses et inédites (comme le lancement de combinaisons intégrales de réalité virtuelle provoquant des sensations réelles) ainsi que de fantastiques perspectives de carrière. Cela vous inquiète ? Ça ne devrait pas. Nous avons demandé à chaque personne interrogée de nous aider, en quelques mots, à nous préparer au monde de demain.

La définition de « design » va s’assouplir.

« Traditionnellement, on étudiait le design graphique, le design industriel ou le design d’interaction, et il existait un nombre fini de métiers. Maintenant, on commence à voir que le design et la créativité peuvent donner lieu à un bien plus grand nombre d’applications. L’une d’entre elles est le design organisationnel, qui porte sur tout, du design de la culture d’une organisation à la conception de cette organisation en termes de structure et de fonctions. Une autre est le design d’entreprise, c’est-à-dire l’idée d’apporter un éclairage créatif sur tout, des business models au financement à risque. »

Duane Bray, associée et directrice des talents, IDEO

La « créativité » va devenir une caractéristique convoitée de leadership d’entreprise.

« Nous voyons des équipes pluridisciplinaires travailler ensemble sur un projet du début à la fin. Comment maximiser leur potentiel créatif ? L’essentiel est de savoir promouvoir la collaboration entre les équipes. »

Duane Bray, associée et directrice des talents, IDEO

La distinction entre design et business va continuer de s’effacer.

« Plus un designer comprend comment fonctionne l’entreprise, plus il sera précieux pour ses employeurs. Les designers qui comprennent la proposition de valeur et la mission d’une entreprise peuvent contribuer à la croissance et à l’épanouissement de celle-ci. Ils doivent simplement apprendre le langage employé par les dirigeants. En effet, si un designer est capable d’exposer clairement sa valeur ajoutée, les dirigeants comprendront qu’ils n’ont pas engagé un simple designer, mais un stratège ! »

Shana Dressler, directrice exécutive de 30 Weeks

Les parcours professionnels sinueux deviendront la norme.

« De plus en plus, je vois des individus qui n’ont pas suivi un parcours traditionnel. Lorsque je recrute une personne, je recherche la logique qui sous-tend son histoire professionnelle. Qu’est-ce qui l’a motivée à prendre ses décisions ? Sur quelle trajectoire s’est-elle retrouvée ? Je n’attache plus tellement d’importance au fait d’être allé à une bonne école de design ou d’avoir démarré dans une société prestigieuse. Ce qui compte pour moi, c’est que la personne ait su apprendre et se développer, qu’elle ait œuvré vers un but précis. »

Duane Bray, associée et directrice internationale des talents, IDEO

L’impression 3D sera porteuse de nouveaux défis uniques dans le design… mais aussi de nombreuses opportunités.

« Je crois que le produit va être moins statique à l’avenir. Si un magasin est équipé de l’impression 3D, ses clients pourront personnaliser les produits en leur donnant la taille qu’ils veulent, par exemple un format oversize. La conception des objets va pouvoir être personnalisée de nombreuses façons, plutôt que de prévoir des formats fixes. »

Georgianna Stout, cofondatrice et directrice de la création, 2×4

Les données et le design enchanteront le quotidien.

« Les designers sont généralement des experts du sensoriel, du visuel et de l’action. Maintenant, avec l’omniprésence des logiciels, beaucoup de formes d’expression du monde du design cèdent le pas à des choses qui ne sont pas aussi concrètes, comme des données de personnalisation qui se souviennent de nous. Les designers seront obligés de réfléchir aux relations entre l’homme et la machine. Par exemple, si le capteur d’un système d’intelligence artificielle dans une maison intelligente voit la porte d’entrée s’ouvrir et reconnaît le visage de la personne qui entre, devra-t-il être en mesure de consulter ses données personnelles pour connaître ses goûts et savoir quelle lumière allumer pour elle ? Ou bien vous devrez décider si, à chaque fois que vous rentrez chez vous, vous voulez que ce soit votre système domotique qui allume la lumière et non vous. Ou préférez-vous développer un système domotique qui communique avec vous pour chaque prise de décision ? Pour la plupart des possibilités dont je viens de parler, il n’y a pas d’interrupteur pour allumer la lumière ni d’interfaces système à tapoter. Il s’agit d’intelligence artificielle, et toutes ces décisions sont prises à l’aide des données personnelles. Voilà les nouveaux problèmes de design qui nous attendent ! »

Mark Rolston, fondateur et directeur de la création, argodesign

Les équipes pluridisciplinaires vont se multiplier.

« Nous avons beaucoup de docteurs et d’infirmiers ici à NBBJ, et l’impact sur notre travail est phénoménal. J’adore l’idée d’entrer dans une pièce où se trouveraient un architecte technique impétueux, un infirmier et moi avec ma formation dans les Beaux-Arts, et qu’on se mette à travailler sur un problème de design urbain pour un projet civique. On obtiendrait des résultats vraiment intéressants, qui seraient réellement différents des solutions conçues par trois personnes ayant étudié la même architecture et diplômés d’écoles similaires. On n’a que peu de chances, voire aucune, d’innover vraiment avec ce groupe. Il réaliserait le projet probablement plus vite et plus facilement, mais je doute qu’on obtienne quelque chose de radicalement différent. »

Sam Stubblefield, directeur, NBBJ

Les designers à l’âme d’entrepreneur gagneront en importance.

« Tandis que les dirigeants d’entreprise commencent à comprendre la valeur ajoutée des designers, j’imagine que les designers seront invités de plus en plus souvent à des réunions préliminaires, dès la conception des produits et des services. Ils pourront aussi prétendre à des salaires et des honoraires de consultation plus élevés. Les trois piliers du succès sont : une excellente idée, une excellente exécution, un excellent design. Si vous pouvez prouver que votre contribution à une société est étroitement liée à ses bénéfices, la direction va s’intéresser à vous. »

Shana Dressler, directrice exécutive de 30 Weeks

L’art numérique rivalisera avec l’art traditionnel.

« Une sculpture imprimée en 3D aura-t-elle la même valeur qu’une sculpture faite à la main il y a 50 ans ? On considère parfois l’art numérique comme une forme d’art inférieure. Oh, c’est fait à l’ordinateur, pas à la main ! Alors les gens pensent que ça devrait être moins cher. J’ai peur que les consommateurs ne voient l’art en 3D que comme quelque chose de cheap, pas de l’art véritable. Mais quand il sera possible d’imprimer le chef-d’œuvre d’un artiste et de le posséder en propre, les gens vont changer d’avis. Je pense très sincèrement que si Michel-Ange avait eu un ordinateur, il l’aurait utilisé. »

Daniel Aristizábal, illustrateur colombien

Le design d’expérience va devenir de plus en plus important.

« Le shopping ne repose plus seulement sur l’expérience de la transaction. Il englobe la visite de la boutique, l’impression que donne la marque et l’adoption du style de vie que véhicule le produit. Aujourd’hui, c’est encore une expérience chic et urbaine, donc comment la rendre plus accessible ? Nous étudions beaucoup le centre commercial K11 à Hong Kong et la manière dont il incorpore un tas de choses différentes dans l’expérience de shopping : de l’art partout, des fermes de champignons que l’on peut cueillir et ajouter à son repas, des programmes pour enfants… Tout est très bien organisé, donc il y a toujours de nouvelles expositions et de nouveaux programmes. »

Georgianna Stout, cofondatrice et directrice de la création, 2×4

Le storytelling n’aura pas d’arc narratif clair.

« La quantité d’investissement/de buzz autour de la réalité virtuelle et augmentée sera le prochain grand défi pour les créatifs. Les disciplines créatives n’enseignent généralement pas comment produire un récit tenant compte des goûts du client. Traditionnellement, on nous raconte des histoires linéaires. Je pense que, pour les créatifs, la difficulté majeure sera de trouver comment concevoir des jeux proposant une histoire que les utilisateurs pourront se raconter eux-mêmes. »

Paul Matthaeus, fondateur et président, Digital Kitchen

Avec la fragmentation du monde de la création, la tarification de ses prestations deviendra de plus en plus difficile.

« Il est facile de déterminer un prix de manière rétrospective, mais si l’on réfléchit à quelque chose qui n’a pas encore été défini, c’est vraiment difficile pour les entreprises d’y donner une valeur particulière. Je pense que l’on finit par devoir faire la chose par petites étapes progressives, comme du contenu en série. »

Paul Matthaeus, fondateur et président, Digital Kitchen

Il faudra agrandir sa palette de compétences.

« Vous pouvez avoir un design magnifique, mais si vous ne pouvez pas en expliquer le développement, vous aurez échoué, même si vous êtes le meilleur des designers. Il est important d’apprendre les « compétences non techniques » qui consistent à apprendre comment parler en public pour attirer et conserver l’attention et bien communiquer vos idées. Vous devez apprendre à négocier vos prix, à décoder l’humeur des gens dans une pièce et à savoir quand vous faire oublier. L’autre facette, c’est la psychologie de l’activité, avec les questions : Pourquoi est-ce que je développe ça ? Pourquoi est-ce important ? Ou quel impact vais-je avoir sur le monde ? Il est important d’y répondre avant de commencer à créer. Il est important de penser à la fois business et design. »

Mona Patel, PDG et fondatrice, Motivate Design

La réalité virtuelle visuelle n’est que le début.

« Il existe vraiment beaucoup d’opportunités et de moyens d’expression à l’intérieur de la RV. Par exemple, Axon VR est en train de développer une réalité virtuelle corporelle intégrale, prenant en charge les aspects matériels et logiciels. L’appareil est assez imposant, et plonger dans une expérience à la première personne est étonnant quand on y ajoute l’aspect visuel, le son et le sens du toucher. En conséquence, la puissance visuelle des expériences a énormément augmenté. Entre les mains de créatifs, il existe une véritable possibilité d’élaborer des expériences absolument formidables. »

Paul Matthaeus, fondateur et président, Digital Kitchen

Spécialisation + communication = le gros lot professionnel.

« Au lieu d’essayer de tout faire, les jeunes designers devraient se former à une discipline spécifique de design : le design dans la communication, le design produit, le design d’intérieur, le design de mode ou le design pour médias numériques. Un étudiant en design devrait comprendre comment les disciplines respectives du design interagissent avec la technologie et l’entreprise. Les étudiants devraient participer à des projets avec des étudiants d’autres disciplines de design, et aussi, de préférence, avec des étudiants d’écoles d’ingénieurs et de commerce. Pour les jeunes designers, c’est une expérience formatrice et le moment de développer leurs compétences en communication. »

Cees de Bont, doyen de l’école du design, Hong Kong Polytechnic University

L’impression 3D va continuer à prendre de l’importance.

« En tant que créatifs, il est de notre devoir d’incorporer l’impression 3D à notre travail. Rendre son travail tangible, quand on a la possibilité de le faire, le rend plus riche. J’espère que l’impression 3D permettra aux individus de personnaliser totalement leur vie. Un jour, si nous avons besoin de chaussures ou de plus de couverts, nous pourrons les imprimer à la maison. Je crois que ce sera le cas pour tous les articles ménagers de base. Le nombre de créatifs va augmenter parce que des choses traditionnellement réalisées à l’échelle industrielle pourront être faites par n’importe qui doté d’une imprimante 3D. »

Daniel Aristizábal, illustrateur colombien

Il vous faudra réfléchir de manière plus approfondie à votre design en tant que marque.

« Si vous faites de l’UX Design et que vous voulez développer autant de produits que possible, restez freelance, vous gagnerez beaucoup plus d’argent et vous aurez ce que vous voulez. Mais si vous commencez à vous dire que vous voulez bâtir des équipes ou établir une culture, c’est le moment de songer à monter votre société. Vous devrez alors vous éloigner du design pur et passer au développement d’activité (opérations, RH) et commencer à créer une structure pour que quelqu’un puisse acheter le design visuel créé par votre marque. Il faut changer d’attitude et ne plus vous dire : “Je suis le designer et j’ai ici une équipe qui travaille pour moi”, mais “Je suis le moteur qui crée une marque que des gens vont développer, et des clients vont engager la marque pour obtenir une qualité supérieure qu’ils n’auront nulle part ailleurs.” Votre job, c’est de créer cet environnement et ce système. »

Mona Patel, PDG et fondatrice, Motivate Design

Le secteur public aura besoin d’un plus grand nombre de solutionneurs de problèmes et donc de designers.

« Au cours des 5 à 10 prochaines années, les designers auront une position plus dominante dans le design des services publics. Il s’agit d’un domaine relativement nouveau, et les designers pourront travailler dans de nombreux domaines, qui se développeront sans aucun doute étant donné les problèmes croissants auxquels est confronté le secteur public, comme le vieillissement de la population, la pollution, la congestion, etc. Ces problèmes nécessitent beaucoup de créativité et d’expertise en design. »

Cees de Bont, doyen de l’école du design, Hong Kong Polytechnic University

Matt McCue

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Matt McCue est rédacteur senior pour 99U. Il a précédemment écrit pour Fast Company, Fortune et ESPN The Magazine. Il vit à New York, mais ne rechigne pas à parcourir de longues distances en échange d’un bon repas. Il est ici @mattmccuewriter.

Kiana St. Louis

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Kiana est Rédactrice en chef adjointe et Community Manager pour 99U. Elle adore la mode et l’art, et pense que nous vivrions sans doute dans un monde meilleur si les gens écrivaient un petit peu plus. Suivez son blog personnel ici.

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