« Suivez votre instinct », tel est le conseil de Sophie Ebrard pour réaliser le cliché parfait

Pour ma part, j’évite de me demander si tel ou tel magazine va aimer ma photo.

Sophie Ebrard

Le mois dernier, dans le cadre de l’Adobe Photography Jam, la très talentueuse et désopilante Sophie Ebrard nous a exposé à quel point il importe de se libérer des carcans de la société et de suivre ses rêves pour pouvoir réaliser le cliché parfait.

Aujourd’hui, elle évoque avec nous sa carrière de photographe, l’inspiration qui anime ses remarquables campagnes publicitaires, ainsi que ses projets pour l’avenir.

Parlez-nous de votre parcours. Comment êtes-vous devenue photographe ?

Je suis devenue photographe le 6 janvier 2010. À compter de ce jour, j’ai décidé de dire « Je suis photographe » à tous ceux qui me demandaient ce que je faisais dans la vie. Même si, au début, ce n’était pas totalement vrai, j’avais avant tout besoin de croire en moi pour que les autres puissent faire de même.

J’ai grandi dans un petit village, au pied des Alpes. Je n’ai jamais été spécialement initiée aux disciplines artistiques : mes parents étaient tous deux pilotes, et Internet n’existait pas encore. Mais mon père était passionné de photographie, ce qui a eu une influence sur moi. Je passais énormément de temps à dessiner et j’ai toujours eu un appareil photo dans les mains.

J’aimais beaucoup l’art, mais je ne me sentais pas d’en faire une école. Je n’étais pas sûre de ce que je voulais faire, donc j’ai intégré une école de commerce. Peu après mon diplôme, je me suis tournée vers la publicité et j’ai travaillé dans certaines des plus grandes agences européennes. L’expérience m’a beaucoup plu au début, car elle me permettait de garder une part de créativité. Mais au fil des ans, le travail a évolué, l’industrie a changé, et les campagnes sont devenues plus globales et moins créatives. La publicité s’est éloignée de ce pourquoi j’y étais entrée.

J’ai réalisé, à ce moment-là, qu’il me fallait un grand changement. Raison pour laquelle j’ai décidé de devenir photographe à plein temps.

De quel projet êtes-vous la plus fière ?

J’aurais tendance à dire que le projet « It’s Just Love », consacré aux coulisses de la pornographie, est celui dont je suis la plus fière. Pour humaniser les acteurs face à l’objectif et montrer un aspect plus léger de ce milieu, j’ai suivi pendant quatre ans le réalisateur de films X Gazzman sur les plateaux du monde entier.

Le résultat ne correspond nullement à des images érotiques ordinaires ; le plaisir sexuel y est très peu présent. La série « It’s Just Love » tient à la fois de l’étude de composition et de l’analyse des relations humaines appliquées à l’industrie du sexe. Ce sont des moments intimes présentés au travers de plans d’ensemble et de compositions élégantes.

J’ai transcrit tous ces instants volés sur une pellicule analogique moyen format. Ils illustrent des échanges entre un certain nombre d’individus partageant les mêmes valeurs, un moyen de subsistance et une profession aussi honorable que toute autre.

Ma série « It’s Just Love » a été présentée à l’Unseen Photo Fair, l’an dernier, dans le cadre du festival international de photographie d’Amsterdam. J’ai décidé d’organiser cette exposition à mon propre domicile, afin de mettre en évidence la dualité entre intimité et présentation au public. La pornographie étant surtout consommée à domicile, l’endroit était idéal pour cette exposition.

Roderick van der Lee, cofondateur et administrateur de l’Unseen Photo Fair, était le commissaire de l’exposition.

Quel conseil donneriez-vous à ceux qui envisagent de se lancer dans la photographie professionnelle ?

Je leur prodiguerais le meilleur conseil qu’il m’ait été donné : ne jamais oublier qu’on officie en tant qu’entreprise ou marque, et non en tant qu’individu, et ne pas sous-estimer le tarif de ses prestations.

Lorsque vous sortez de l’école, personne ne vous prévient que l’argent gagné sur un projet est loin d’être tout bénéfice. Vous devez payer tous ceux qui vous ont donné un coup de main, sans parler des impôts. S’il vous reste un peu d’argent, il devra être consacré à l’achat d’un nouvel ordinateur ou investi dans la réalisation d’une nouvelle série de photos que vous adresserez à un magazine dans l’espoir d’être remarqué par quelqu’un qui fera appel à vous pour un autre projet.

Pourriez-vous nous révéler vos astuces pour réaliser le cliché parfait ?

Suivez votre cœur et votre instinct. Ne réalisez pas un cliché parce que vous pensez qu’il va plaire à une personne ou à un marché donné ; réalisez-le parce que vous estimez qu’il est intéressant. Pour ma part, j’évite de me demander si tel ou tel magazine va aimer ma photo.

Je fais davantage confiance à mon ressenti. Même en séance photo chez un client, j’essaie de me persuader que si un « déclic » se produit lorsque j’appuie sur le déclencheur, il y a de fortes chances pour que mon cliché ne laisse pas indifférente la personne qui le regardera.

Il faut écouter sa petite voix intérieure et donner le meilleur de soi.

Quels sont vos projets ?

Je travaille constamment sur des tas de projets.

Dernièrement, je me suis retrouvée, une semaine durant, avec cinq joueurs de basketball dans un Airbnb de Harlem, à New York. Certaines de ces images ont été publiées en avant-première sur WeTransfer cet été.

J’adore m’immerger de manière créative dans des mondes dont je ne connais rien et apprendre à gagner la confiance de mes sujets. Jouer au caméléon et m’adapter à mon environnement, c’est ce que j’aime le plus.

Pour la suite ? Une nouvelle série qui me permettra de me plonger à nouveau dans un univers inconnu, dont je tenterai d’immortaliser la beauté intérieure.

C’est un exercice quasi-thérapeutique puisqu’il s’agit de faire abstraction de son propre monde pour porter un regard différent sur les choses. Plus cet univers est éloigné du mien, plus j’y prends du plaisir, et mieux je réussis à en capturer la beauté.