Le Cri, interprété par Bastien Grivet

Cofondateur avec Jessica Rossier du studio Wardenlight, on doit à ce concept artiste la réalisation de l’univers de Call of Duty, des cinématiques sur Shadow of War ou encore Darksiders III, des décors pour Independance day, des illustrations pour Dell et Alienware. Habitué des superproductions scifi et fantastique des temps modernes, Bastien Grivet s’est attaqué pour le projet Adobe “Hidden Treasures of Creativity”, à un monument de la peinture : le Cri, de Munch, qu’il a accepté de réinterpréter à sa façon en utilisant de nouvelles brosses Photoshop, directement inspirées des pinceaux utilisés par le maître. Attention : talent!

Adobe : Peux-tu te présenter ?

Bastien Grivet : J’ai cofondé avec Jessica Rossier le studio Wardenlight, situé à Montpellier. Nous faisons du concept art et des illustrations pour le jeu vidéo, le cinéma, et la publicité. Nous venons tous les deux de Suisse, où nous avions commencé une école d’art. Nous nous sommes lancés comme indépendants sans passer par la case diplôme, puis un contrat à Ubisoft Montpellier s’est présenté en 2008. Nous avons ensuite travaillé avec pleins de studios à travers le monde puis nous avons monté notre propre structure. Nous créons beaucoup d’univers pour le jeu vidéo ou le cinéma depuis.

Adobe : Comment se caractérise votre travail ?

Bastien Grivet : Nous sommes attirés par la complémentarité entre la couleur et la lumière mais dans une vision “épique” où les émotions sont fortes et bien différenciées : l’ombre et la lumière, le bien et le mal. Fin 2014, on a diversifié notre ligne artistique en revenant vers la peinture traditionnelle pour voir ce qu’elle pouvait apporter à notre approche plus digitale. Finalement, cela a fait évoluer notre travail, en conservant cette approche épique de la couleur et de la lumière, tout en intégrant des techniques traditionnelles et un côté plus graphique. Notre processus de travail passe forcément par nos émotions artistiques personnelles.

Adobe : Que représente le projet Hidden Treasures of Creativity pour vous ?

Bastien Grivet : Adobe nous a contacté pour nous proposer de travailler sur ce projet. On était emballé car le tableau Le Cri de Munch nous a, par le passé, beaucoup fasciné et inspiré. L’idée de le réinterpréter est à la fois très effrayante et galvanisante. Cela fait du bien car cela nous permet d’exprimer une lecture très personnelle d’une grande œuvre. Il fallait aussi travailler et expérimenter de nouvelles brosses créées par Kyle Webster et directement inspirées des pinceaux utilisés par Munch. On a l’habitude de travailler avec nos propres brosses, on sortait de notre zone de confort.

Adobe : Comment appréhende-t-on un tél défi ?

Bastien Grivet : C’est grisant, mais aussi une vraie prise de risque. On a l’habitude de travailler sur des projets qui sont très attendus, par des millions de joueurs ou de fans. Notre travail est déjà assez exposé. Mais réinterpréter un tableau comme Le Cri, c’est prendre le risque d’être très critiqué si cela ne plait pas. La peur étant le pire ennemi de la création, je n’y pense pas et je travaille comme si je faisais ce tableau juste pour moi, comme un plaisir totalement personnel.

Adobe : Quelle place occupent les classiques dans votre travail ?

Bastien Grivet : Ça, c’est LA question. Jessica autant que moi, nous sommes fortement imprégnés du travail des grands maîtres de la peinture classique. On a, en Europe notamment, un bagage culturel et artistique phénoménal. Pour ma part, je suis très sensible à l’Hudson River School, au paysage, à la période romantique. Je suis très inspiré par le travail d’Albert Bierstadt, Alexandre Calame, Alphonse Mucha, John Martin ou encore William Turner. Le jeu vidéo et le cinéma nous ont donné envie de faire ce métier, mais ces grands maîtres nous apportent l’inspiration et l’humilité. Personnellement, c’est très important pour moi d’avoir ces mentors du passé comme maîtres. On se bat pour montrer dans les écoles l’importance et l’apport de la peinture classique dans le jeu vidéo et le cinéma.

Adobe : Comment avez-vous travaillé pour réinterpréter Le Cri ?

Bastien Grivet : Il a y eu globalement trois étapes. J’ai tout d’abord expérimenté ces nouvelles brosses en copiant le tableau de Munch, sans interprétation, juste pour voir comment ces brosses réagissent et mettre au point mon process de travail. J’ai ensuite travaillé sur le tableau pour analyser sa composition et ce que Munch disait en peignant Le Cri. On se rapproche du travail d’historien, pour comprendre l’angoisse de Munch face à ce ciel agonisant. Enfin, la question essentielle a été de poser mes propres limites personnelles quant à ce que je pouvais changer dans ce tableau. Le Cri a déjà été très souvent copié et plus ou moins réinterprété. J’ai fait un choix fort, celui de changer l’angle de vue et de briser le monde autour de cette créature effrayée.

Adobe : Peux-tu nous expliquer tes choix ?

Bastien Grivet : Le seul élément que je voulais impérativement conserver, c’est de respecter la vision de l’artiste sur la lumière en conservant cette fameuse Golden Hour, avec ce soleil qui se couche et ce ciel flamboyant, cette lumière qui fait apparaître le rouge sanguin, ces couleurs qui s’embrasent. J’ai voulu travailler à ma façon sur ces couleurs et ces lumières, en ajoutant d’autres couleurs notamment. Je trouvais intéressant de prendre le contrepied et de changer l’angle de vue du personnage, qu’il soit de dos et face au paysage qui l’effraie tant. On ne voit plus son expression. Je voulais conserver la rambarde mais ici, elle se brise et part en morceau tout comme la vie d’Edvard Munch qui a, dès l’enfance, dû faire face à la folie, la mort et la maladie, son monde s’écroule en une spirale inquiétante… de quoi donner envie de crier !

Adobe : Combien de temps ce travail t-a-t-il demandé ?

Bastien Grivet : Une demie journée d’expérimentations, quelques heures de recherches sur la démarche de Munch et environ 5 ou 6 heures de création sur Photoshop. Le process n’est volontairement pas très long. J’ai besoin d’aller vite sur un sujet comme celui-ci, car sinon, je prends le risque de me noyer dans les informations et de laisser le doute, la peur reprendre le dessus.

Adobe : Qu’as-tu pensé des nouvelles brosses Photoshop ?

Bastien Grivet : Elles sont vraiment géniales. Comme je disais, on s’est remis à peindre avec les pinceaux traditionnels. Avec ces brosses, je ressens la toile au niveau de la pression, de l’inclinaison aussi pour réaffirmer le trait. C’est un réel plaisir et elles réagissent magistralement bien. Je dois dire que marier ces brosses à l’approche très réaliste, à l’ancienne, avec notre technique plus digitale et très graphique est assez grisant.

Adobe : Les as-tu intégrés dans ton process de travail pour Wardenlight ?

Bastien Grivet : Oui bien sûr, en fait elles s’inscrivent dans la continuité de notre travail actuel, nos allers et retours entre le numérique et le traditionnel. Il y a l’outil Doigt aussi, qui permet de faire des effets intéressants.

Adobe : Quels sont les logiciels et outils de Creative Cloud que tu utilises ?

Bastien Grivet : On travaille exclusivement sur Photoshop, mais depuis quelques temps, on utilise beaucoup Typekit pour l’association de typographies. J’aime bien aussi Capture sur mon smartphone que je trouve bien pratique pour tester, expérimenter. Et Adobe Stock commence à prendre de plus en plus de place dans notre processus de travail, pour la recherche d’images.

Adobe : Comment vous faites-vous connaître ?

Bastien Grivet : Nous avons un compte Behance qu’on n’actualise pas assez. Au début on a participé à des concours mais aujourd’hui, on utilise essentiellement Art Station et nos réseaux sociaux.

Merci Bastien Grivet

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