La culture du design : créer des entreprises orientées design
Le design devient inextricablement lié à la création des produits et des services, notamment dans le secteur des technologies, comme le souligne John Maeda dans son rapport annuel sur le design et les nouvelles technologies. Face à l’attractivité croissante de la proposition de valeur du design, des questions se posent quant à la place du design dans l’entreprise — pourquoi, quand et comment peut-il jouer un rôle ? La « culture du design » part du principe — du moins en partie — que le design peut imprégner l’ADN et le modus operandi d’une entreprise.
C’est quand il est parfaitement intégré dans l’entreprise, en phase avec d’autres fonctions et approches, que le design est le plus efficace. En parallèle, il existe des moyens éprouvés de promouvoir la culture du design. J’ai demandé aux responsables du design d’un studio, d’une startup et d’une entreprise ce que la culture du design signifiait pour eux et comment ils la concrétisaient.
Qu’est-ce que la culture du design ?
La « culture du design » est un concept nébuleux (voire, une tendance !). Selon Ryan Rumsey, directeur du design d’expériences chez EA, la culture du design est une « intention organisationnelle visant à identifier la finalité d’une activité avant de tenter de l’exercer. » Linda Nakanishi, directrice du design chez Nascent, abonde dans ce sens et parle du rôle crucial du design dans la compréhension du problème, de l’utilisateur et de l’entreprise avant d’entreprendre quoi que ce soit. L’une des propositions de valeur du design réside dans la possibilité d’imaginer les produits et services que les individus attendent et qu’ils apprécient en menant des recherches approfondies sur les besoins des utilisateurs.
Tom Creighton, directeur du design chez Wealthsimple, préfère parler de « sensibilisation au design » plutôt que de « culture du design ». « Une culture d’entreprise sensible au design laisse les équipes détecter et évaluer un problème durant le processus, au lieu de s’en tenir à un périmètre et des exigences stricts dès le premier jour », explique Tom Creighton. Il s’agit d’un recadrage intéressant, dans lequel on passe d’une « culture du design » pouvant paraître omniprésente ou monolithique à une approche laissant toute latitude pour identifier les utilisations appropriées du design. Il souligne également le rôle et la responsabilité du design dans le cadrage du problème — nous devons être sûrs d’apporter la bonne réponse au bon problème. On peut parler de culture du design dès qu’une entreprise utilise le design pour s’interroger avant de créer quelque chose.
Comment savoir s’il existe une culture de la sensibilisation au design sur votre lieu de travail ? Pour Tom Creighton, le « périmètre flou » avec des résultats clairs fait partie de la sensibilisation au design. De même, pour Linda Nakanishi, cela signifie qu’une orientation design devient une exigence inhérente au travail, au point d’avoir un impact sur le type de tâches et de projets acceptés par le studio. Selon Ryan Rumsey, le fait que les individus marquent une pause avant de rédiger les documents et feuilles de route des pré-requis métier est une indication de l’existence d’une culture du design.
Comment promouvoir la culture du design
Développer quelque chose d’aussi éphémère qu’une culture est assurément plus facile à dire qu’à faire. Comment faire en sorte que le design soit apprécié à sa juste valeur et reconnu comme un facteur important de la création de produits et de services ? Linda Nakanishi, Tom Creighton et Ryan Rumsey ont présenté certaines de leurs stratégies et tactiques.
Élaborer une proposition de valeur claire : Être responsable du design d’une entreprise suppose d’être capable d’expliquer la valeur de l’approche. Il est également crucial de renouer les liens potentiellement rompus entre les équipes de design et la direction de l’entreprise. Tom Creighton l’a parfaitement compris. « L’une des choses que j’ai apprises au cours de ma carrière est que la culture du design consiste, pour une large part, à pratiquer le design et à faire le travail. Il y a cependant une composante essentielle qui est rarement enseignée : comment expliquer la valeur du design à des personnes qui ne sont pas des designers ou ne sont pas sensibilisées au design. » Il arrive souvent que les designers mettent beaucoup plus l’accent sur le processus que sur les résultats. Le développement d’une culture du design suppose d’expliquer clairement la valeur ajoutée du design, que ce soit en termes d’efficacité, de chiffre d’affaires ou d’interaction avec les utilisateurs.
Coaliser les volontés : Ryan Rumsey souligne l’importance de trouver des partenaires et des collaborateurs volontaires et enthousiastes à l’idée de miser sur le design pour relever des défis. « Comme vous pouvez difficilement adopter le design sans modifier certains modèles opérationnels, vous devez trouver des champions travaillant sur de petits projets », indique Ryan Rumsey. L’un des avantages de cette approche est qu’elle permet d’obtenir des succès rapides qui suscitent l’intérêt et la curiosité. « On va vous poser des questions du style : ‘Comment avez-vous fait ? Pouvez-vous nous aider aussi ?’ » ajoute Ryan Rumsey. C’est un moyen d’utiliser la résolution des problèmes comme un cheval de Troie pour le design — en l’introduisant subrepticement dans l’environnement sans être trop directif ou insistant.
Créer une communauté : La culture repose sur des individus, et tous les responsables du design ont insisté sur l’importance du partage des connaissances au sein de l’équipe de design et au-delà. Cela peut prendre la forme de rencontres hebdomadaires avec l’équipe de design ou de séances de présentation et de discussion avec l’équipe élargie. L’organisation de réunions de suivi disciplinées, structurées et axées sur le design produit présente des avantages. Et c’est ce que Tom Creighton préconise chez Wealthsimple. Bien que l’équipe de Linda Nakanishi participe à des séances d’échange d’informations axées sur le design, elle teste aussi des sessions interdisciplinaires. « La culture du design se diffuse par l’échange pluridisciplinaire. Lorsque toute l’équipe est impliquée dès le début d’un projet, elle est présente à la phase de découverte du design et peut prendre part à la discussion », affirme Linda Nakanishi.
Ne pas limiter le design aux designers : Linda Nakanishi et Ryan Rumsey ont évoqué la nécessité d’étendre le design au-delà du club très fermé des designers attitrés. Ryan Rumsey organise des ateliers de design à l’heure du déjeuner. « Je dis : ‘Je vous invite à manger une pizza et j’en profiterai pour vous expliquer comment les designers travaillent’ », raconte-t-il. Cette stratégie fonctionne car les employés apprécient modérément les cours magistraux ou les conférences — ils viennent pour la pizza et repartent avec le virus du design ! Ces ateliers opportunistes permettent aux équipes d’explorer eux-mêmes différentes approches du design et à Ryan Rumsey d’identifier des projets et partenaires potentiels, mais aussi de commencer à définir le périmètre d’action.
Culture du design : moteurs et freins
L’un des facteurs clés pour réussir à monter une équipe de design est l’appui de la hiérarchie. Sans le soutien de l’équipe de direction, faire éclore et s’épanouir une culture du design est une bataille perdue d’avance. « Si vos supérieurs hiérarchiques n’y voient aucun intérêt, ils risquent de ne pas allouer les ressources nécessaires au design, par exemple en refusant de débloquer un budget de recherche pour l’évaluation du périmètre d’action ou d’affecter plusieurs designers à un projet. Par le passé, j’ai déjà dû insister et me battre pour obtenir ces ressources. Sans soutien, la culture du design ne peut pas se développer », déclare Linda Nakanishi. Dans le cas de Tom Creighton, le design, en tant que différenciateur stratégique, bénéficie d’un excellent soutien. « Du point de vue de l’investissement, notre offre est relativement conventionnelle. C’est notre façon de proposer des solutions qui fait toute la différence. Les cadres dirigeants sont parfaitement sensibilisés au design et à son importance. Les solutions que nous trouvons sont des solutions de design, et non des solutions financières. »
Qu’en est-il des freins à l’instauration d’une culture du design ? La résistance au changement, le sentiment de ne pas être concerné par le design ou la méconnaissance du design sont des thèmes courants. Lorsque Ryan Rumsey a rejoint son entreprise, le terme « design » était déjà utilisé, mais dans un autre contexte — celui de l’architecture des solutions. « Cela peut créer une grande confusion autour du terme ‘design’. D’aucuns peuvent par exemple chercher à comprendre de quoi les designers sont responsables et dans quels volets du projet ils doivent intervenir », déclare Ryan Rumsey. Dans les entreprises où le Design Thinking est une nouvelle façon de travailler, d’importants efforts de renforcement des capacités sont parfois nécessaires pour mettre tout le monde au diapason.
La culture du design est un sport collectif
Les responsables du design avec qui je me suis entretenu ont unanimement insisté sur l’importance des individus. Du recrutement de développeurs tournés vers l’utilisateur à l’ouverture d’esprit en passant par la volonté d’apprendre les uns des autres au sein de l’entreprise, la culture du design est en définitive diffusée et entretenue par les équipes. Comme le dit Linda Nakanishi, « La culture du design, c’est de pouvoir compter sur des personnes compétentes. Il ne s’agit pas de tout faire soi-même, mais de trouver des personnes fiables et de travailler ensemble — de rallier à vous d’autres responsables pour bâtir la culture que vous voulez. »