[Type@Paris] Entretien avec Màrio Feliciano

Quel plaisir d’écouter Mário partager son expérience à Type@Paris dont Adobe était partenaire ! Sympathique et drôle, sa perspicacité se mesure aux critiques qu’il a formulées sur le travail des participants. Mário est un typographe accompli, qui puise son inspiration dans des modèles hérités du passé qu’il se plaît à réinterpréter, contribuant ainsi à des réalisations pleines de force et d’intégrité.

Expliquez-nous comment est né votre intérêt pour le graphisme et la typographie.

Mário Feliciano : J’aime le dessin depuis que je suis tout petit ; à l’âge de 5-6 ans, je dessinais déjà énormément… À l’adolescence, je reproduisais, de mémoire, des pochettes de disques et des logos de surf dans mes manuels scolaires. Je suppose que ma passion pour le surf et la culture pop-rock m’a amené au graphisme et, ensuite, à la typographie.

Avez-vous toujours aimé dessiner des caractères typographiques, même à vos débuts en tant que directeur artistique ? Comment est née votre passion pour la création de polices de caractères ?

Alors que j’étudiais le graphisme, j’ai décroché un poste d’assistant graphique chez Surf Portugal, et quelque temps plus tard, je suis devenu directeur artistique. C’était en 1995, me semble-t-il. Mais avant cela, j’utilisais déjà des polices que je créais ou modifiais… Chaque mois, je testais un nouvelle série de polices. Et pas uniquement les miennes. C’était l’époque des fonderies David Carson, Ray Gun, Bikini, Emigre et des polices grunge ! C’est dans ce contexte que j’ai fait mes premières armes, dans un registre « punk rock »… Mais bien vite, je me suis intéressé à une typographie plus « sérieuse », et j’ai commencé à explorer la typographie classique et traditionnelle.

Étant entièrement libre de tester de nouvelles polices chaque mois, j’avais une vision très précise de ce qui pouvait ou non fonctionner, ainsi que des aspects influant sur notre perception du texte et des informations écrites. J’ai également participé à la rédaction du magazine, en lien avec la typographie.

Qu’est-ce qui a été déterminant dans votre éducation et votre parcours en tant que designer ? Il peut s’agir d’une personne, d’un établissement ou d’une autre ressource.

Les facteurs mentionnés précédemment ont été décisifs, mais il y en a eu d’autres. J’estime être tombé sur les personnes qui étaient capables de me guider dans mon travail à un stade encore embryonnaire, à savoir John Downer, Matthias Noordzij et Jean François, pour n’en citer que quelques-uns. Mathew Carter et Gerard Unger m’ont également formulé certaines critiques très tôt, autour des années 1999-2000, qui se sont avérées très encourageantes. Pour autant, j’estime que mon travail se nourrit d’une multitude de centres d’intérêt ; je ne dessine pas uniquement un style de polices de caractères, je pourrais dessiner n’importe quoi.

J’ai omis de préciser qu’en 1996, j’ai conclu un contrat avec Adobe l’autorisant à publier l’une de mes polices de caractères, Strumpf, qui est ensuite devenue une police « Adobe Original ». Il s’agit d’une police un peu « démente », inspirée par les personnages des Schtroumpfs, d’où le nom. Alors que je fignolais cette police selon les normes Adobe, j’ai eu la chance de travailler avec Carol Twombly et l’expérience a été passionnante. Car à l’époque, il n’y avait pas Internet pour « voir » le résultat ! Je correspondais avec Adobe par courrier postal et par fax, je leur envoyais les fontes sur disquettes… histoire de se replacer dans le contexte.

Qu’appréciez-vous particulièrement dans votre domaine d’activité ? Y a-t-il des aspects ou des attitudes négatives dans le secteur que vous aimeriez voir changer ?

J’adore dessiner des caractères typographiques : je ne m’en lasse jamais, contrairement à nombre d’aspects liés à la gestion de ma fonderie, dont je m’occupe seul, et qui m’épuisent. Pour autant, j’aime le principe de travailler seul, ici à Lisbonne, pour des clients du monde entier. Je ne me préoccupe guère des évolutions du marché, à moins qu’elles ne s’imposent à moi, comme lorsque le format OpenType a remplacé PostScript Type1.

Qu’est-ce qui, en dehors de votre secteur d’activité, vous inspire ?

La culture pop et la culture portugaise en particulier sont des sources d’inspiration. Et les modèles typographiques classiques. Mais j’ai aussi d’autres centres d’intérêt que la typographie : bien trop pour les citer tous ! La musique et le surf sont les plus évidentes, mais je me passionne aussi pour les vieilles voitures, les techniques d’enregistrement, la philosophie ou la politique. Et mes plus de vingt années d’expérience m’ont appris une chose : plus vous en savez, meilleur vous êtes !

Auriez-vous quelques anecdotes amusantes ou embarrassantes à nous raconter ? N’ayez pas peur, soyez franc. Nous sommes entre nous !

J’ai effectivement une anecdote assez amusante. Pour ceux qui ne le savent pas, j’ai eu la chance d’avoir l’une de mes polices de caractères, Geronimo, publiée par Enschedé Font Foundry (TEFF), fonderie dirigée par Mathias Noordzij avec qui j’ai noué des liens professionnels, mais aussi d’amitié. Je vais vous raconter l’histoire de cette rencontre, les circonstances qui m’ont conduit à faire la connaissance de Matthias.

C’était en 1997, lorsque j’ai assisté à ma première conférence ATypI à Reading, en Angleterre. J’étais seul, je ne connaissais personne. Pas même les visages ou les noms des dessinateurs de caractères, sauf peut-être Suzana Licko… La veille de la conférence, j’ai demandé à un gars qui se trouvait devant le campus universitaire si je pouvais me joindre à lui et à son groupe d’amis pour dîner dans un restaurant à proximité. Et c’est ce que j’ai fait. Autour de la table étaient assis de parfaits inconnus pour moi à cette époque, à savoir : Matthias (auquel je m’étais adressé), Fred Smeijers, Anno Fekkes (qui venaient tous trois des Pays-Bas), John Downer et Robert Bringurst ! — C’est ainsi que j’ai dîné avec ceux qui allaient ensuite devenir, pour certains, mes héros vivants de l’univers typographique, sans même savoir qui ils étaient…

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Entretien réalisé par Dave Coleman et publié dans sa version originale (anglais) sur https://www.typeparis.com/news/qa-sessions-mario-feliciano/