Portrait d’artiste : Julien Coquentin

Entre la photographie, le design éditorial et les arts numériques, Julien Coquentin maîtrise de nombreuses disciplines. Teintées de nostalgie, contrastées entre l’ombre et la lumière, ses séries photographiques sont le reflet de ses expériences. Rencontre.

En parcourant ton portfolio Behance, quatre projets ont retenu notre attention : Saisons noires, Tôt un dimanche matin, The Dead Zone et Paysans. Sans doute car on ressent le devoir de mémoire, fortement lié à la mort. Tes saisons noires sont « celles de l’enfance, saisons plongées dans l’obscurité ». L’enfance est habituellement connotée à l’insouciance, le bonheur simple et pur. Peux-tu expliquer cette tension, ce parti-pris artistique ?

L’expliquer, pas précisément. Je photographie à partir de ce que je suis, il y a là beaucoup d’insaisissable. J’aime ce qui est teinté d’une certaine tristesse, la douceur de la mélancolie, non pas dans son sens psychiatrique mais plutôt cette vague souffrance qui peut étreindre à certains moments de l’existence. Se retourner sur ses pas, se souvenir de son enfance, sont des mouvements qui peuvent faire sourire c’est vrai mais qui blessent aussi un peu, notamment lorsqu’il s’agit d’explorer son temps qui passe. La photographie implique toujours une certaine forme de recueillement, c’est un instant où tu te fais face. Il faut croire que ma bile noire prend le pas sur les autres humeurs.

Les quatre projets que cités sont très différents dans leur essence. Tôt un dimanche matin a été réalisé sur deux années à Montréal, imaginé comme une ballade américaine. Saisons noires en revanche se propose comme une introspection : il s’agit d’une série conçue sur les lieux de mon enfance à l’occasion d’un retour en terre natale, un long projet de trois années. The Dead Zone est un travail davantage conceptuel, où je fais intervenir un cube en contre-plaqué peint en noir, figurant une certaine forme de réminiscence dans le paysage. Enfin, _Paysans _est une série de portraits réalisés sur un marché aux bestiaux où j’ai repris une installation d’Irving Penn, consistant à placer le sujet devant deux panneaux disposés en un coin aigu, substituant les cloisons de bois dont Penn avait l’usage par deux hautes plaques en métal que j’avais pris soin de faire rouiller.

Tu évoques souvent ton enfance dans l’Aveyron. Quelle place prend-il dans ton inspiration ? Quelles sont tes autres sources d’inspiration (artistes, lieux…) ?

Il s’agit-là d’une multitude de sources qui se rejoignent en un bras, ce peut-être autant mes lectures que des détails de la vie de tous les jours, des sensations, des paysages, une lumière… Une série photographique naît parfois d’un petit instant vécu, une phrase, quelques mots. L’Aveyron s’est inscrite dans mes travaux récents car je suis revenu habiter quelques temps ce territoire, et généralement je me penche sur les lieux où je vis. Ce lieu-ci avait cela de particulier qu’il est paysage de mon enfance.

Quand et comment as-tu commencé la photo ?

Il n’y a pas d’instant spécifique, c’est venu lentement à une période de ma vie où j’ai su que je n’allais peut-être plus voyager comme je l’avais fait jusqu’alors. Il fallait qu’un objet passionnel en remplace un autre et ce fut la photographie qui épousa la place laissée vacante.

Tu as à cœur d’expliquer méticuleusement l’histoire de tes photos – tes projets constituant un véritable journal photographique (que tu agrémentes d’ailleurs de sons, comme dans The Dead Zone). Pourquoi le storytelling tient-il une place si importante ?

Parce que mes photographies ne se suffisent pas à elles-mêmes. Parce que je fais confiance aux mots pour dire ce que l’image n’arrivera peut-être pas à raconter et inversement. C’est à prendre comme un tout. On peut toujours en détacher une image, une phrase, mais la cohérence n’existe que dans l’œuvre dans son intégrité. En cela, le livre est sans doute la forme la plus aboutie d’un travail photographique. Le livre accomplit la série.

Les histoires que tu racontes sont teintées de nostalgie, qui transparait dans l’ambiance globale de ton portfolio. Comment procèdes-tu techniquement pour susciter un tel sentiment ?

Je ne sais pas. Je ne suis pas quelqu’un de nostalgique et je me méfie généralement de la nostalgie. Peut-être ce sentiment est-il suscité par les temps photographiques que j’affectionne : temps de pluie, temps de brume. Peut-être encore cela tient-il au traitement que j’applique à mes images en post-production, peut-être enfin est-ce lié à la part argentique de mon travail : une texture de l’image qui peut évoquer les photographies de nos albums de famille des années 70-80. Ceci étant, ce n’est pas volontaire.

Quel rôle jouent Photoshop et Lightroom dans ton travail ? Dans la retouche ?

Un rôle fondamental, c’est ma chambre noire. Je développe tous mes fichiers, qu’ils soient d’origine argentique ou numérique, à partir de ces deux instruments. D’anciennes versions de Photoshop et Lightroom sur lesquelles je balade mes photos, dans un mouvement de va-et-vient, jusqu’à ce que l’équilibre entre la lumière et l’obscurité me convienne.

Trois de tes projets photo ont donné naissance à des ouvrages, aux éditions Lamaindonne. Quel rôle as-tu joué dans la mise en page, le maquettage ?

Avec David Fourré (mon éditeur) nous travaillons très étroitement à leur réalisation, il a une grande culture du livre doublée d’une généreuse sensibilité. C’est un ami, nous nous parlons sans détour. Chacun des feuillets a été réfléchi conjointement et nous ne laissons vraiment rien au hasard. Je sais à présent que d’une même série photographique, il est possible de tirer bien des livres différents dans leur essence, dans leur beauté. Si je peux dire que ma photographie me ressemble, je crois pouvoir dire aussi que les livres réalisés avec David nous ressemblent.

Peux-tu nous dire deux mots sur tes projets actuels et à venir ?

Je vis à présent à La Réunion et ce pour une année encore où Je travaille à l’écriture d’un conte photographique. Mes journées sont trop courtes mais c’est le lieu commun de bien du monde, j’essaye de choisir ma vie si cela est possible. Tu m’as demandé quelles pouvaient être mes influences, ce projet spécifique est dicté par le lieu. Une île, une atmosphère humide et moite que j’affectionne depuis longtemps. Le texte lu tient une grande place dans mon rapport à mes enfants : j’aime le dire, j’aime raconter, elles adorent écouter et se fondre littéralement dans le récit. En arrivant ici, j’ai lu des contes de London, notamment les contes des mers du Sud. Ceux-là étaient pour moi et se sont merveilleusement calqués avec les mornes et les ravines de l’île. C’est donc, comme tu le vois, un tout qui détermine l’essence d’une série.

Merci !

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