« Le design urbain, ce n’est pas que de la fonction »

Pour Jean-Louis Frechin, designer et architecte spécialisé dans le design numérique et l’innovation, les objets n’ont plus la place qu’ils méritent dans la ville. L’histoire a pourtant prouvé le contraire à de très nombreuses reprises. Oui, le design urbain a un rôle qui va bien au-delà du pur décoratif. Pour redonner aux objets urbains un sens qui dépasse leur seule fonction, la Mairie de Paris et le Pavillon de l’Arsenal, accompagnés par Jean-Louis Frechin, lancent un appel à projets aux designers qui souhaitent inventer la ville de demain. Explications.

Peux-tu nous expliquer comment le design est arrivé dans le programme FAIRE de l’Arsenal ?

Tout est parti d’un constat : il existe un programme ambitieux autour de l’innovation à Paris, mais rien jusqu’à présent en matière de design. Par ailleurs, il y a beaucoup d’activisme sur le design en France, mais il me semblait que Paris avait une dimension d’exemplarité. Je pense que notre capitale constitue un terrain de jeu favorable pour le design urbain, dans l’objectif d’être à la hauteur des défis posés à une Ville Monde et à ses usages. Or, paradoxalement, on a une foule d’objets techniques (caméras, pollution, circulation, armoires électriques, communication…) qui cohabitent dans la ville, et tout cela est géré comme une accumulation de fonctions. Il y a bien un urbanisme du sol et des grandes fonctions de la ville, mais l’urbanisme des objets n’existe pas ou très peu.

Partant de là, j’ai rencontré Jean-Louis Missika – Adjoint à la Maire de Paris chargé de l’urbanisme, de l’architecture et du projet du Grand Paris, pour échanger autour du design dans la ville et de la nécessité d’inventer un complément aux efforts actuels en matière d’architecture. Avec Alexandre Labasse, Directeur du Pavillon de l’Arsenal, nous avons organisé des rencontres entre de nombreux designers talentueux avec différentes palettes de pratiques comme Mathieu Lehanneur, Matali Crasset, Agathe Chiron et Raphaël Pluvinage, Alexandre Echasseriau – pour ne citer qu’eux – afin de comprendre les intérêts et les envies autour de la mise en place d’un projet de ce type. A l’issue de toutes ces rencontres plus que positives, la décision a rapidement été prise d’utiliser le programme FAIRE du Pavillon de l’Arsenal pour mettre en avant le design urbain.

Quel est l’objectif de ce projet ?

Réfléchir au design urbain de demain. Mais au-delà de la théorie, nous souhaitions que FAIRE 2018 soit ancré dans le concret, d’où la mise en place d’un appel à projets pour les designers sensibles aux problématiques urbaines. Paris offre de superbes conditions de travail puisque les lauréats seront rémunérés pour travailler sur la réalisation finale de leur projet.

Quels designers sont attendus ?

Un peu tous les types de designs : les designers graphiques dans la grande tradition du design graphique d’utilité publique, les designers makers, les designers stratèges et poètes, les designers inventeurs avec des projets très opérationnels pour accompagner les mutations de l’espace public. Ces profils variés permettent d’apporter des réponses à des questions mal posées… ou qui n’ont tout simplement pas encore été posées.

Par ailleurs, de nombreux thèmes de réflexion sont ouverts, comme le sport, les enfants dans la ville, la sécurité, le tri, la propreté, l’environnement, la gestion de l’eau, les températures, les inondations, la mobilité douce, le numérique ou encore le commerce de proximité. Dans tous ces domaines, les résultats du design pour la ville bénéficient à la communauté. C’est important car ce sont des projets qui nous dépassent individuellement. FAIRE 2018, finalement, c’est du « méta design » car on designe ici la capacité des designers à travailler pour la ville.

Pourquoi le design est-il si important dans le paysage urbain ?

Les objets urbains font partie de l’histoire des villes et sont des vecteurs de création d’identité très puissants. On peut prendre pour exemple les cabines téléphoniques, les taxis et les bus londoniens ; la signalétique du métro de New York ; ou encore les bouches de métro Guimard et les fontaines Wallace de Paris, qui assoient les structures de la ville européenne du 19ème siècle. Ils sont l’expression d’une ville qui se modernise sur un tissu ancien. C’est finalement toute l’histoire de l’architecture de la ville et de l’espace public qui devient beaucoup plus populaire, et des objets qui accompagnent les progrès de la ville. Ce ne sont pas les architectes qui ont contribué à ce mouvement mais bien les décorateurs et les designers. Petit à petit à partir des années 30, le design a permis la structure et l’organisation programmatique de la ville avec des réponses comme les systèmes de signalétique, par exemple. Il y a bien une histoire des objets dans la ville, qui sont passés de fonction à symbole. Les colonnes Morris, par exemple, ont été créées dans un but fonctionnel (ranger des balais du service propreté de la ville), puis des affiches ont été collées dessus et, très vite, elles sont devenues l’un des symboles parisiens. Le design urbain, ce n’est donc pas que de la fonction, ce sont aussi des icônes et des archétypes. C’est également un design partagé, qui a des contraintes fortes et qui œuvre pour le bien de tous. C’est pour ces raisons que c’est sans doute l’un des designs les plus intéressants.

On note une complexité et une mutation rapide de la société urbaine avec des enjeux forts autour de la sécurité, la mobilité, l’environnement, le numérique, etc. Y a-t-il urgence à repenser le design urbain ?

Depuis un certain temps, Paris ne s’est pas réellement posé la question du design dans la ville et de la cohérence des réponses. Aujourd’hui, il y a une forme de « méditérranéisation » de l’espace public – car on aime de plus en plus vivre dehors, ce qui pousse à équiper la ville pour s’adapter à cette tendance. Mais l’urgence c’est aussi de savoir se projeter dans la ville telle qu’elle sera dans 10 ou 20 ans. Nous vivrons dans des villes où il y aura très certainement moins de voitures donc plus de place, où des objets automatiques vont circuler, où l’on verra apparaître de la logistique urbaine automatique, où la relation au commerce sera très différente, où la sécurité jouera un rôle de plus en plus important. Le design doit aussi, d’une certaine façon, jouer un rôle social pour que la ville soit toujours au service de tous. Il s’agit là d’un vrai challenge pour les designers urbains, et Paris leur ouvre aujourd’hui ses portes. C’est une occasion à ne pas rater.

Pour participer

Les designers souhaitant répondre à l’appel à projet de FAIRE 2018 (date limite : 31 mai 2018), peuvent s’inscrire en suivant ce lien :

http://www.faireparis.com/fr/home/faire-2018-design-urbain-1316.html

Photographie d’en-tête : Peter Gabor