Rechercher l’échec pour ne plus en avoir peur : les réflexions de Geoffrey Dorne sur ses illustrations quotidiennes

Un jour, un dessin. Depuis quelques années, c’est le rythme de création que s’est imposé Geoffrey Dorne. Depuis, il développe sa technique, ses inspirations, sa créativité et partage ses œuvres avec la communauté de créatifs. Rencontre.

Quelle est la genèse de ce projet audacieux d’un dessin par jour ? Raconte-nous l’histoire, du pastel au livre, en passant par Instagram.

L’histoire est assez simple en réalité : je dessine depuis mes tous premiers souvenirs et je garde en moi la pratique du dessin comme un support d’expression direct. Je l’utilise pour exprimer ma pensée, mes passions, mes rêves, mon amour, ma tristesse… Le dessin fait partie de mon langage. Cependant, avec le temps et mon métier de designer, le dessin est parfois devenu un simple outil de travail, de croquis explicatif, un prolongement de ma pensée… C’est donc par nécessité que j’ai ressenti ce besoin de reprendre la couleur, le pastel, l’aquarelle et de me mettre en difficulté.

En 2012, j’ai décidé de reprendre les pastels, de dessiner un dessin par jour et de le publier sur mon compte Instagram. À partir de là, j’ai beaucoup appris, j’ai beaucoup évolué, échangé avec des illustrateurs également. Et chemin faisant, quelques personnes ont commencé à suivre ce challenge. Avec le temps, ces personnes se sont habituées et attendaient alors mon « dessin du jour ». Quand j’étais un peu en retard et que je n’avais toujours rien publié vers 23h, je recevais parfois un message me demandant où était passé mon dessin !

Ensuite, certains ont voulu me commander certains dessins ; j’ai donc décidé de faire un livre regroupant mes 365 dessins. J’en ai vendu 300 exemplaires environ et j’ai pu partager l’évolution d’un travail d’une année.

En 2017, j’ai repris mon courage pour me lancer un nouveau défi : réaliser une aquarelle par jour pendant un an ! J’en suis à ma 252e à l’heure où je vous écris.

Le travail du samedi ✍️

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Tu utilises le pastel et l’aquarelle. Pourquoi ces outils plutôt que d’autres ? Pourquoi l’analogique plutôt que le digital ? Comment en as-tu appris la maîtrise ?

Adolescent, j’avais économisé pour m’offrir une tablette Wacom (une Wacom Intuos A5 qui se branchait en port série à l’époque) et j’ai énormément dessiné sur tablette. Aujourd’hui encore, je réalise des dessins à la tablette ou directement sur ma Surface Pro, mais c’est plus pour du travail de commande.

Cette liberté que m’offre l’aquarelle ou le dessin avec de la matière, c’est avant tout le fait d’être surpris par l’imprévu. Une tâche d’encre ou une coulure, ça arrive rarement avec du numérique. Avec le numérique, il ne faut pas attendre que le papier absorbe l’eau, que la peinture sèche, il ne faut pas faire attention où l’on pose ses doigts sur l’encre. C’est aussi une façon pour moi de rechercher l’échec. Quand je dessine sur ordinateur je peux toujours revenir en arrière ou corriger un trait, ajuster une couleur. Là, avec de l’aquarelle, quand c’est raté, c’est raté… Mais surtout, ça n’est pas grave puisque je réalise une aquarelle tous les jours. Cela me permet d’enlever énormément de pression et cela me permet d’apprendre avant tout.

Et justement, en parlant d’apprentissage, j’ai beaucoup appris par moi-même mais adolescent, j’ai suivi trois années de cours de dessin et peinture dans une école de Beaux-Arts, puis j’ai étudié cinq ans aux Arts Décoratifs de Paris où j’ai appris notamment la peinture, la sculpture, le dessin, la photographie, la vidéo, etc. J’en garde de merveilleux souvenirs.

Dessines-tu à partir d’un modèle, d’un paysage contemplé, d’une photo ? Ou es-tu seul devant ta feuille ?

Mes idées viennent du quotidien et se nourrissent de ce que je vois au cinéma, des paysages que j’ai en voyage, des rencontres et des discussions que je mène et beaucoup de mes propres sentiments. C’est assez rare en fait de pouvoir écouter et rechercher quels sont ses sentiments. J’essaye d’en faire un point de départ.

À partir de là, je peux partir d’une page blanche et dessiner un paysage imaginaire, ou alors je fais aussi des recherches, je prends des photos en voyage et je commence à peindre. Là par exemple, j’ai passé 2 semaines dans les Parcs Nationaux en Californie, j’ai une énorme source d’inspiration pour les jours à venir.

Quelles sont tes inspirations ? Aussi bien dans les sujets de tes illustrations que dans les citations qui signent chacune d’entre elles sur Instagram ?

Mes inspirations plastiques viennent principalement de la peinture classique via ma formation (l’école néerlandaise, les impressionnistes, le romantisme…) mais aussi beaucoup me viennent de la bande dessinée, des illustrateurs contemporains que je prends beaucoup de plaisir à suivre sur Instagram ou sur Twitter. Par exemple, Maruti Bitamin et son style très japonais, Ian McQue et son univers vraiment incroyable, Ken Garduno et sa liberté graphique, Karl Kopinski et sa très grande maîtrise technique. Quand je vois toutes ces figures qui m’inspirent, je me dis que je n’aurais jamais assez d’une vie pour apprendre et m’exercer. Mais ce n’est pas grave, j’avance petit à petit.

Concernant les citations, je lis beaucoup d’auteurs très différents, ils me servent parfois de source d’inspiration. Là par exemple je lis Walden de Henry David Thoreau et ses propos raisonnent avec les paysages que je peux peindre. Je cite donc ses mots. Je m’inspire aussi de chants français (de la révolution, de la première ou seconde guerre mondiale, des chants traditionnels…) parce qu’ils emploient un langage d’antan et j’apprécie beaucoup les mots que l’on n’utilise que trop peu. Enfin, j’invente beaucoup de citations moi-même en partant d’un mot que j’aime (là je voulais placer forban : « Moi qui ne fus qu’un forban, qu’un bandit, j’ai le courage des géants, c’est ainsi ! »). Cela peut parfois être aussi des jeux avec les mots eux-mêmes comme « De folle à forte, il ne me suffit que d’un peu d’air et beaucoup de thé. ».

Quel rôle joue cette ‘discipline’ autour de l’illustration dans ta vie professionnelle de designer ? Est-ce un exutoire ?

Si l’on prend l’origine du mot exutoire, « se mettre à nu » dans ce cas, c’en est un oui. C’est très personnel, cela me permet aussi de raconter, de partager, d’essayer, d‘échouer mais surtout d’apprendre de nouvelles choses. Je le fais de façon totalement égoïste parce que tout simplement j’aime cela. Je n’en fais pas encore une offre commerciale dans mon métier puisque j’ai déjà beaucoup de travail en tant que designer graphique, d’interface, d’identité, etc. Mais parfois j’ai des commandes dans lesquelles je peux venir utiliser ce travail de dessin et cela me va très bien pour l’instant. Je ne rêve pas d’être un artiste qui expose dans de grandes galeries d’art. Je fais, j’apprends, je partage, cela me convient.

Faisons le bilan. Voici plusieurs années maintenant que ce projet est né. Quels enseignements en tires-tu (techniques, inspiration, créativité et création) ?

Le premier apprentissage c’est que la perfection n’est pas un sujet en soi, l’expression passe en premier. Ensuite, comme je me contrains à un seul outil (d’abord c’était le pastel et là c’est l’aquarelle), je constate qu’il y a une infinité de techniques avec le même outil. Je pourrais utiliser un fusain pendant 5 ans et découvrir des dizaines et des dizaines de techniques différentes.

Dans les autres enseignements que j’en tire, c’est que l’activité quotidienne du dessin, de la peinture, de tout art en général, est réellement bénéfique pour la progression. Cela enlève la peur de l’échec, cela permet de tisser de meilleures connexions dans le cerveau, cela permet aussi de consacrer un temps spécifique dans la journée, cela oblige au calme et à la régularité. Enfin, j’avais peur de manquer d’idées et de sujets d’expression sur une année entière et au final ça n’est jamais arrivé. Chaque jour je dois batailler pour faire un choix sur lequel m’arrêter : les possibilités sont trop nombreuses !

Tu vends tes illustrations. Aimerais-tu que ce projet prenne une autre tournure ? Une exposition par exemple ? Une nouvelle édition de ton livre ?

Oui, cette fois-ci, je propose mes aquarelles à la vente (il suffit de m’envoyer un e-mail ou un message privé sur Instagram, Facebook ou Twitter) pour me simplifier les choses. Je ne sais pas encore si je ferai un nouveau livre, je me réserve la surprise à la fin des 365 aquarelles. Et pour l’instant j’ai une toute petite exposition qui se prépare, elle regroupera une dizaine d’aquarelles d’animaux disparus ou en voie de disparition et les ventes seront reversées à une association sur la protection animale. C’est une première pour moi, je n’ai jamais fait cela… Et je suis bien curieux de voir ce que ça va donner !

En tous les cas, un immense merci pour ces questions éclairées, elles m’ont offert la possibilité de réfléchir un peu et de prendre du recul sur cette pratique plutôt instinctive.

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