La photo parfaite : mythe ou réalité ?

En tant que créateurs, nous passons parfois des heures à peaufiner les moindres détails jusqu’à ce que nous jugions le résultat « parfait ». Mais en matière de créativité, la perfection existe-t-elle ? Et si tel est le cas, quels sont les critères pour en juger ? Nous avons demandé à deux photographes de paysages à quoi tenait la photo parfaite : équipement haut de gamme, bon timing ou tour supplémentaire en hélicoptère ? Le concept de photo parfaite est-il un mythe, comme le monstre du Loch Ness ? Chacun d’eux nous a fait part de ses réflexions en commentant l’une de ses photos.

Mark Maziarz – Auteur de Park City: A Portrait

J’ai pris cette photo au-dessus de l’océan Pacifique à Encinatas, en Californie, il y a environ dix ans. Ce qui me plaît, c’est que le soleil illumine l’océan sur plusieurs centaines de mètres au large.

Pour moi, la photo « parfaite » est techniquement irréprochable en termes d’exposition, de mise au point et de composition. Cette photo n’est pas du tout parfaite sur le plan technique. Je l’ai prise avec un petit appareil photo dont le capteur n’était pas très performant. C’était un appareil à 200 dollars. Mais cette photo dégage une véritable émotion ce qui, de mon point de vue, prime sur l’aspect technique.

Au début de ma carrière, je photographiais des images sportives pour des banques d’images. Les prises de vue se faisaient dans les conditions météo idéales de l’Utah : neige fraîche et ciel bleu sans nuages. Au moment où j’ai pris cette photo, j’étais en plein rejet de la notion de « perfection ». Je commençais à ne plus apprécier l’aspect technique de la technologie. J’avais complètement changé d’avis sur ce que devait être une bonne photo.

Quand j’ai pris cette photo à Encinitas, je possédais trois appareils photo. Mon objectif préféré a environ 160 ans. La mise au point n’est pas parfaite, mais il crée de très beaux motifs qui transforment quasiment la photo en peinture. J’aime la façon dont tout s’harmonise. Cela n’a rien à voir avec la perfection et la précision exceptionnelle des objectifs modernes. Le résultat est plus naturel, plus artisanal, presque analogique… même si cela reste du numérique.

Il ne faut pas perdre de vue l’essentiel : l’âme, l’émotion que le photographe vous fait ressentir. Il faut consacrer son énergie à cela : faire naître l’émotion à travers une photo. Car au final, c’est à cela que les gens sont sensibles. Une photo peut être parfaite, mais elle ne peut être exceptionnelle qu’avec un supplément d’âme et d’émotion.

Diane Tuft – Auteur de The Arctic Melt: Images of a Disappearing Landscape

« Broken Arches » est la photo d’un iceberg dans la baie de Disko au large d’Ilulissat, au Groënland. Pendant les étés 2015 et 2016, j’ai parcouru l’Arctique pour témoigner des trois facteurs responsables de la montée du niveau des océans en raison du changement climatique : la fonte des glaciers, l’expansion thermique des océans et la fonte de la calotte glaciaire du Groënland.

J’ai voyagé à bord d’un brise-glace nucléaire russe, de Murmansk en Russie jusqu’au Pôle Nord. Nous avons traversé d’immenses zones d’eau sans glace. Lorsque nous sommes arrivés au Pôle Nord, la glace était si fine qu’il était impossible de débarquer sans risque. Nous avons cherché pendant trois heures une couche de glace suffisamment épaisse pour pouvoir explorer la zone.

J’étais venue pour la première fois à Ilulissat neuf ans plus tôt. À l’époque, la calotte glaciaire était une couche de neige poudreuse et la température était de – 1 °C. Les icebergs de la baie de Disko étaient si énormes qu’ils ressemblaient à des glaciers. Aujourd’hui, en raison du vêlage constant des glaciers, la baie de Disko est parsemée de minuscules icebergs qui s’éboulent quotidiennement en raison de la hausse des températures. Neuf ans plus tard, la température à Ilulissat était de 18 °C. Sur cette photo, l’iceberg fond rapidement. De l’eau s’écoule à l’intérieur.

« Broken Arches » est une photographie aérienne. J’ai demandé au pilote de l’hélicoptère de tourner autour de l’iceberg jusqu’à ce que je trouve la meilleure composition. Comme je ne recadre jamais mes photos, je devais saisir l’instant parfait, l’harmonie entre soleil, iceberg et reflet. J’ai réalisé cette prise de vue par la fenêtre, ce qui n’est pas idéal en termes d’angle. Généralement, j’essaie d’ouvrir la porte en grand pour pouvoir me pencher et créer la meilleure composition. Cette fois-là, le pilote ne volait pas suffisamment bas, je lui ai demandé à plusieurs reprises de descendre pour avoir une vue plongeante sur cette arche d’eau de fonte.

Les artistes ont un sens inné et naturel de la composition. J’ai fait des études de mathématiques. Tout dans la nature est mathématique. La tête mesure un septième de la longueur du corps. Le nombre d’or s’applique aux coquillages, aux fleurs, aux pommes de pin, aux branches d’arbre, aux galaxies spirales et aux ouragans. Je crois que la photo parfaite existe, mais elle appartient au subconscient. Lorsqu’une composition de paysage respecte un ratio un tiers/deux tiers, je suis satisfaite. La photo devient alors une composition parfaite.

Par Emily Ludolph.