Le design est-il inclusif par nature ?
C’est une tendance de fond : le design inclusif semble s’élever comme la solution aux exigences de responsabilité et d’empathie aujourd’hui portées par la société. Ce serait le réduire à un rôle secondaire, là où le design inclusif est avant tout porteur d’équité. Le point avec Véronique Lapierre, consultante, formatrice et spécialiste de la Qualité Web.
Adobe : Pouvez-vous vous présenter et revenir sur votre parcours ?
V.L. : Je suis arrivée dans le monde du web par hasard, en faisant d’abord de l’intégration. Assez rapidement, je me suis intéressée aux questions de qualité et d’accessibilité. J’ai rejoint la communauté de Paris Web qui était alors la seule conférence qui abordait l’accessibilité. Cela m’a ouvert de nouveaux horizons et confortée dans mon idée que le web pouvait être un espace plus ouvert, plus accueillant. J’ai également suivi la formation référent qualité web Opquast et passé la certification. Aujourd’hui, je fais de l’accompagnement de projet, du conseil et de la formation sur la Qualité Web, essentiellement auprès de structures associatives et d’ONG.
Adobe : Comment définissez-vous le design accessible ?
V.L. : En soi, c’est un design au service des personnes en situation de handicap. Cela consiste à créer des outils, penser des stratégies, des services, des produits pour compenser la perte ou la restriction des possibilités de participer à la vie de la collectivité à égalité avec les autres.
Adobe : Que signifient la diversité et l’inclusion dans le design ?
V.L. : Si on part du postulat que tout est design, que toute interaction est le résultat d’un design, la diversité et l’inclusion sont forcément questionnées par le design. Le design inclusif est la prise en compte de la différence, de la diversité, qu’elle soit religieuse, culturelle, de genre, de peau, la liste est non exhaustive.
Adobe : Comment l’Inclusive Design se différencie-t-il ou complète-t-il l’Accessible Design ?
V.L. : Il faut bien comprendre que sans accessibilité, le design inclusif n’existe pas. Il y a débat pour savoir si on travaille sur l’accessibilité exclusivement au service des personnes en situation de handicap, ou s’il faut promouvoir un design inclusif, utile à tous et en premier lieu à ces personnes. Je pense que, s’il y a indéniablement besoin d’experts capables de concevoir et de développer des approches spécifiques pour travailler sur le design accessible, l’inclusion peut également être une opportunité à saisir pour progresser sur la question de l’accessibilité.
Adobe : Pourquoi faire du design inclusif ?
V.L. : Les raisons idéalistes et humaines seraient de tendre vers un monde meilleur et des sociétés plus équitables. On sait que l’être humain sait faire preuve de solidarité quand il a le sentiment d’appartenir à une communauté. L’inclusion favorise cette notion de communauté. Il y a par ailleurs des raisons économiques. Le design inclusif vise à s’adresser à tous. Il peut donc servir à mieux vendre son produit ou son service en élargissant sa clientèle. Le secteur marchand est bien entendu davantage sensible à cet argument économique. C’est aussi au designer de ne pas tout miser sur cet argument et d’introduire de l’éthique dans son travail. Le design inclusif sans éthique est un design inclusif économique. Je ne sais pas si c’est là une bonne motivation, d’autant qu’il restera toujours des gens exclus pour des facteurs économiques.
Adobe : Le design inclusif est-il une tendance actuelle forte ?
V.L. : Oui, et c’est tant mieux. Plus l’inclusion sera évoquée, plus les designers et les entreprises seront sensibilisées. On sait que l’être humain est réfractaire au changement mais qu’il s’y habitue très bien. Si en lui donnant de la visibilité, le design inclusif devient prépondérant et facilite l’adoption massive de cette pratique, ce sera alors une réussite.
Adobe : Le risque de l’inclusion n’est-il pas de trop complexifier le design ?
V.L. : Le design est par essence complexe car il vise à simplifier la vie des utilisateurs. Le design inclusif demande des connaissances étendues, en anthropologie, en sociologie, etc. Je pense que l’inclusion n’est pas une matière optionnelle mais qu’elle est la fonction première du design.
Adobe : Pouvez-vous donner un exemple de design inclusif réussi ?
V.L. : C’est difficile de donner un exemple de réussite car aucun design, aussi réussi soit-il, n’est parfait. J’ai envie de parler du travail de Patricia Moore. C’est une designer américaine qui a beaucoup travaillé sur la gérontologie. Elle est à l’origine d’un épluche légume, conçu avec un gros manche ergonomique recouvert de silicone ou caoutchouc. Ce produit est une réussite en termes d’inclusion car il est utile à tous ceux qui sont en capacité de préparer un repas, qu’ils soient droitiers ou gauchers, qu’ils soient atteints d’arthrite ou de myopathie, etc. J’aime bien également l’exemple d’Airbnb. C’est un service qui a d’abord généré beaucoup d’exclusion en raison de critères de choix qui reposaient considérablement sur les personnes. Certains se sont vu refusés en raison de leur genre, de leur couleur de peau, etc. Airbnb a travaillé pour rendre son système plus inclusif en insistant moins sur la personne au niveau du process de réservation et en promouvant la réservation immédiate. La plateforme a su être plus inclusive. Et pour autant, en incitant les gens à louer leur bien dans les grandes villes touristiques, Airbnb provoque un effet secondaire sur la flambée des prix et l’exclusion de personnes qui n’ont plus les moyens de se loger.
Adobe : Faut-il avoir une approche différente du design inclusif selon la finalité du projet, le design d’un service, d’une interface ou d’un produit ?
V.L. : Il ne faudrait pas. Mais il est plus facile d’avoir une approche centrée sur l’exclusion que sur l’inclusion. En prenant le problème à l’envers et en s’interrogeant sur le groupe d’utilisateurs que notre design va potentiellement exclure, on facilite la démarche.
Adobe : Existe-t-il une méthodologie spécifique pour le design inclusif ?
V.L. : Il y a quantité de méthodologies, de processus et d’outils. A mon sens, la méthodologie la plus efficace consiste à inclure de la diversité dès l’origine du projet, au sein des équipes de conception. Plus ces équipes sont diversifiées, moins le risque de produire de l’exclusion est présent. Ensuite, il faut tester son design avec des publics et des utilisateurs aussi diversifiés que possible, ne se priver de rien et n’exclure aucun retour d’expérience.
Adobe : Les formations de designers sont-elles adaptées ?
V.L. : Je ne sais pas si les formations sont adaptées, il faut probablement faire plus, mais les designers disposent de ressources immenses pour se former. Encore faut-il savoir ce qu’est l’inclusion. Or, au sein même de la communauté des designers, certains n’en ont jamais entendu parler.
Adobe : Quelle place occupe aujourd’hui l’approche open source dans le design et l’intégration web ?
V.L. : Ce sont deux mondes qui se côtoient mais n’interagissent pas beaucoup. Le design et l’open source doivent se réconcilier. J’ai l’impression qu’il y a une grande offre d’outils open source pour le design, mais qu’ils sont peu utilisés. D’un autre côté, ils sont souvent réputés pour leur manque d’ergonomie. Mais je suis confiante car il y a actuellement des initiatives qui sont en train de se mettre en place autour du fonctionnement collaboratif, dont on devrait bientôt entendre parler. L’open source est un terreau idéal pour l’inclusion et la diversité.
Merci !
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Entretien réalisé à l’occasion de la soirée IXDA-Lyon le 25 septembre 2018 pour la journée Word Interaction Design Day en partenariat avec Adobe.
Véronique Lapierre
Son site web : http://www.webetcaetera.net