Les secrets de fabrication de « Beyond Us », film d’ouverture d’IAMC19

Le film d’ouverture des MasterClass IAMAG 2019, « Beyond Us », nous met dans les pas d’un robot qui parcourt la Terre le jour après l’effondrement de notre civilisation pour sauver les plantes survivantes. Ce conte tout en nuance sur l’homme et les enjeux climatiques a été coréalisé, notamment avec After Effects et Cinema 4D, par Maxime Tiberghien, Sylvain Favre et Maxime Hacquard.

Adobe : Comment est né ce film ?

Sylvain Favre : Avoir carte blanche pour une création est très enthousiasmant. Ce fût un grand plaisir de travailler avec Patrice Leymarie, CEO d’IAMAG, l’année précédente alors nous nous sommes laissé embarquer dans cette nouvelle production, des idées pleins la tête.

Maxime Hacquard : Nous voulions faire un film qui s’adresse à un public plus large que la communauté du motion design. Nous avons proposé à Maxime Tiberghien de se joindre à nous pour nous aider sur la scénarisation et la direction artistique.

Maxime Tiberghien : Nous voulions faire un film en prise avec l’actualité, sur un sujet qui parle à tous : la fin de notre civilisation face à son incapacité à répondre aux enjeux climatiques et environnementaux. Nous voulions condamner l’impact de l’homme sur la nature, mais aussi créer de l’émotion. Il fallait donc un personnage central et compte tenu des délais de production dont nous disposions, ce personnage ne pouvait pas être un humain. Le robot s’est imposé très vite.

Adobe : Quelles ont été vos sources d’inspiration ?

Sylvain Favre : Pour ma part, ma source principale a été Maxime Tiberghien. Il a fait un super travail de recherche qui m’a rapidement séduit et nous l’avons tout de suite suivi.

Maxime Tiberghien : « L’homme qui plantait des arbres », de Frédéric Back et « Myosis » de l’Ecole des Gobelins, ont été des sources d’inspiration importantes notamment pour leur structure : l’ouverture au monde, l’introduction du héros et de sa mission, l’acte des péripéties et la confrontation finale avec l’échec probable de sa mission. D’autres films comme « Wall-e », « Dark City », bien sûr « Le géant de fer » mais aussi « Godzilla » et « Pacific Rim » pour la façon de traiter le gigantisme, ont également été des sources d’inspiration fortes. J’ai analysé une trentaine de court-métrages et créé un guide avec 10 règles qu’il nous fallait suivre. Cela a permis de toujours recentrer nos idées pour qu’elles restent au service de l’histoire. Je voulais par exemple qu’une plante pousse chaque fois que le géant mettait un pied au sol. C’était poétique, cela apportait un peu de magie, mais c’était un fil narratif qui n’aurait pas été résolu à la fin. Une bonne histoire doit conclure toutes les options qui sont ouvertes et là, personne n’aurait compris pourquoi les plantes poussaient à son passage.

Maxime Hacquard : Notre géant n’est pas beau et fort, il est même un peu dérangeant. Il est voûté avec un trou au niveau des organes vitaux. Le challenge pour nous était qu’il fasse peur, mais soit expressif et que le public s’attache à lui.

Maxime Tiberghien : Il y a un pivot dans l’histoire. Au début, le géant peut sembler être une menace. En un seul plan, on passe à l’idée qu’il est le gentil de l’histoire et que les humains ne sont pas des victimes mais des coupables. Nous voulions surprendre le spectateur. Visuellement, il fallait bien doser le regard, la rapidité à laquelle il se baisse. Il y avait beaucoup de nuances à apporter à son attitude pour rendre la scène convaincante.

Film d’ouverture des MasterClass IAMAG 2019 « Beyond Us »
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Adobe : Une fois l’histoire écrite, comment avez-vous travaillé ?

Sylvain Favre : Nous avons procédé à une répartition du travail en fonction de nos compétences et de nos envies. Nous sommes restés souple à ce sujet pour s’adapter tout au long de la production. Il a fallu analyser quelles étaient les priorités pour que le musicien Vitaliy Zavadskyy ainsi que les acteurs potentiels pour la voix off puissent travailler dans de bonnes conditions. On a fait en sorte qu’un maximum d’éléments soient réutilisables, ainsi j’ai pu me concentrer sur la création d’assets pour les objets visibles et pour leurs textures. Il n’y avait plus qu’à importer les éléments dans la scène et ils étaient prêt !

Maxime Tiberghien : Nous avions un peu plus de 3 mois pour faire le film. Ce court-délai nous a obligé à travailler de façon très itérative. Pendant que je travaillais sur le story-board, Maxime et Sylvain ont fait un important travail de R&D en parallèle pour trouver des solutions techniques à nos envies créatives.

Maxime Hacquard : Maxime Tiberghien a réalisé tout le story-board au dessin papier, puis a modélisé le géant en 3D. Sylvain et moi nous sommes concentrés sur les aspects techniques. Le délai de production relativement court nous a posé des contraintes fortes, notamment sur les temps de calcul 3D. Chaque solution devait donc être un bon équilibre entre l’exigence de qualité graphique et le temps de rendu nécessaire. Cela nous a obligé à faire des concessions. Mais ces concessions n’ont pas d’impact sur le déroulé de l’histoire.

Adobe : Quels logiciels avez-vous utilisé ?
Maxime Tiberghien : Le choix de cinéma 4D et After Effects ont de suite était évident. C’est un workflow que nous avions tous les 3 l’habitude d’utiliser, rapide et efficace. Le choix le plus difficile fut le moteur de rendu. Sylvain et Maxime étaient plus habitués à Octane, mais nous avons préféré utiliser Redshift pour sa stabilité et les possibilités. Nous ne voulions pas être enfermés dans du photoréalisme. Sylvain a également utilisé Houdini pour les effets des personnages en pierre, ainsi que Zbrush pour quelques peaufinages. Pour le compositing dont je me suis chargé, j’ai utilisé mes combos préférés sur After Effects : Film Convert Pro, Neat Denoiser, Realglow, RSMB Pro, TrueCompDuplicator, et quelques effets Red Giant Universe pour les finitions.

Sylvain FAVRE : Cinema 4D est notre logiciel de prédilection ainsi qu’After Effects pour les VFX et la post-production. J’ai préféré utiliser Redshift pour toutes ses options d’optimisation et la liberté artistique qu’il offre. Certaines scènes demandaient plus de 30mn de calcul par image et, après optimisation, seulement un peu plus de 2mn de rendu par image. François Leroy (Friendly Robot) nous a grandement aidé en partageant avec nous ses astuces en optimisation. J’ai également utilisé Substance Designer pour créer la texture du géant. On voulait quelque chose de très précis. Premiere Pro a été utilisé pour le montage et Soundly pour le sound design. En ce qui concerne les humains, nous avons utilisé une Kinect pour scanner rapidement des poses réalistes. Ce qui fait que les personnages en pierre du film sont souvent des amis, qui ont bien voulu se prêter au jeu ! J’ai utilisé Houdini pour faire couler les personnages, World Creator pour certains sols et SpeedTree pour les arbres.

Adobe : Quels ont été les scènes les plus complexes à réaliser ?

Maxime Hacquard : Il y a eu plusieurs points techniques compliqués : le gigantisme, le brouillard, l’explosion nucléaire… Pour l’explosion nucléaire, nous voulions la réaliser en 3D pour pouvoir la manipuler facilement, mais on s’est vite rendu compte que la meilleure solution restait le compositing sur After Effects.

Maxime Tiberghien : Le passage de l’explosion nucléaire était compliqué. Au début, on imaginait quelque chose de plus nerveux, comme une scène d’action, voir le géant qui se prépare au souffle et désactive les lumières une à une pour concentrer son énergie sur le bouclier et la protection de la plante. Techniquement, cela nous demandait du temps que nous n’avions pas. Ce sont des concessions qui finalement servent l’histoire car créer une action n’aurait pas servi le film. Je pense même que cela aurait rendu l’histoire moins impactante.

Sylvain Favre : La scène de la révélation du géant ! Une longue séquence avec une très grande profondeur, sans oublier des éléments très proches. Éclairer cette scène pour mettre en évidence les bons éléments, les uns après les autres en suivant l’animation de caméra et celle du géant, faite par Maxime Tiberghien, fût très intéressant. Presque chaque scène venait avec son lot de nouveaux challenges car le cadre, l’échelle, l’action et l’ambiance changent très souvent. Ce fût extrêmement intéressant de réinventer des manières de lighter les scènes au fur et à mesure.

Adobe : La lumière est presque un personnage à part entière. Pouvez-vous expliquer le travail sur les lumières, les ombres et le brouillard ?

Maxime Hacquard : Nous voulions faire quelque chose de très atmosphérique, dans l’esprit de « Silent Hill », avec une lumière volumétrique. Nous avons placé les lumières dans Cinema 4D et ensuite fait le compositing sur After Effects en ajoutant du glow, en modifiant les niveaux de contrôle pour la compresser ou la rendre plus vivante. Sur la scène de la mer par exemple, nous avions envisagé trois techniques différentes. Nous voulions faire l’éclair en 3D, ce qui fonctionnait plutôt bien, mais les temps de calcul auraient impliqué trop de concessions sur la qualité du rendu. Nous avons envisagé de faire l’éclair en compositing dans After Effects, mais nous voulions que l’éclair ait une influence sur le géant. C’était possible, mais chronophage. On a donc simplement ajouté une lumière en 3D qui scintille. Quelle que soit la technique adoptée, le message narratif reste le même.

Maxime Tiberghien : Sur certaines scènes, il y a 30 effets de nuages, de brouillard, de lumière pour obtenir le rendu qu’on voulait. L’export 3D en EXR nous permet de récupérer dans After Effects toute la matière que la 3D nous apporte. Dans After Effects, nous avons beaucoup utilisé Extractor. Nous faisions un rendu en séparant la lumière avec les masques d’objets et nous pouvions ensuite récupérer la passe que nous voulions retravailler en compositing. Cela nous a permis de travailler la lumière en profondeur sur les scènes du début quand le géant passe entre les immeubles, ou la scène où il découvre l’arbre encore vivant. On disposait ainsi de toutes les passes 3D pour travailler la profondeur et créer des masques spécifiques pour faire ressortir ou pour compresser la lumière avec beaucoup de précision. Tout l’objectif était d’avoir une évolution dans la profondeur entre les premiers plans et les arrières plans pour que la lumière amène le regard du spectateur là où on le voulait. Beaucoup de plans étaient assez chargés, comme celui où le géant déracine l’arbre. On a donc utilisé la lumière et le travail sur les niveaux de gris pour centrer le regard sur le géant et la feuille et le détourner des immeubles et des objets.

Sylvain Favre : La lumière a demandé beaucoup de travail ! Nous voulions que toutes les lumières volumétriques soient calculées avec Redshift. Il a fallu par moment mettre jusqu’à 6 lumières différentes sur les yeux du personnage pour obtenir le résultat désiré, des volumétriques adaptées et qu’ils éclairent la scène convenablement. Environ 8 techniques différentes ont été nécessaires pour générer ces volumétriques et l’éclairage des scènes comme nous le voulions. La lumière était l’une des dernières étapes et elle a dû être faite vers la fin de la production, Maxime Tiberghien m’a d’ailleurs aidé de temps en temps sur ce sujet pour m’éviter une overdose de lighting. Beaucoup de petites astuces invisibles sont utilisées dans tous les plans. On n’a pas hésiter à utiliser jusqu’à 30 lumières pour obtenir ce qu’on voulait. Il y a mille et une manière d’optimiser le rendu donc le temps de calcul n’était pas un problème. La moyenne du temps nécessaire pour une image avoisine les 2 minutes.

Film d’ouverture des MasterClass IAMAG 2019 « Beyond Us »
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Adobe : Pouvez-vous expliquer le travail de couleur ?

Maxime Tiberghien : Nous avons commencé par détruire toutes les couleurs pour avoir un vrai niveau de noir et blanc, avoir de la finesse sur les niveaux de gris. On a ensuite rajouté du violet dans le sombre et un jaune vert dans le clair. Pour la feuille, on a rajouté la passe avec la couleur de la feuille, en ajoutant du glow autour. Tout le travail colorimétrique s’est effectué sous After Effects. On a ensuite utilisé le plugin Film Convert pour avoir un rendu plus cinématographique.

Sylvain Favre : Pour la partie 3D, nous sommes partis sur une base de noir et blanc et nous voulions que seul l’éclairage apporte des touches de couleurs. La suite s’est passée dans After Effects.

Adobe : Pourquoi avoir choisi une animation typographique lente ?

Maxime Tiberghien : Je suis un immense fan du minimalisme. J’ai été très inspiré par le titrage du film « Prometheus » de Ridley Scott. On parle de fin du monde, nous voulions un tracé très lent, abstrait. Le premier plan dure 30 secondes. Avoir une animation lente était essentielle pour poser l’ambiance et laisser les gens entrer dans le film. J’ai pris la police Gotham et simplement utilisé les tracés automatiques en réglant bien les courbes d’animation du raccordement des tracés.

Adobe : Que vous a apporté After Effects dans ce projet ?

Maxime Tiberghien : After Effects donne une grande liberté artistique et le contrôle total sur le film. On peut retoucher toutes les scènes en même temps, comparer, modifier la direction artistique si besoin. Surtout, After Effects permet d’aller très vite : on a travaillé pratiquement deux mois sur l’écriture du film, la modélisation du géant, les recherches techniques, mais j’ai fait le compositing en seulement 2 jours.

Sylvain Favre : Certaines solutions en 3D auraient été trop longues à paramétrer correctement à cause du temps de calcul. Grâce aux multipasses et à After Effects, Maxime Tiberghien a pu retravailler ce qu’il voulait durant les 40h dont il disposait pour faire la post-production.

Adobe : Quel a été l’accueil du film à IAMAG ?

Maxime Tiberghien : Les gens nous parlent davantage de l’histoire que du graphisme. Nous en sommes très contents car c’était ce que nous voulions : faire un film qui dépasse le cadre du motion design. Là, nous avons su faire un travail de cinéaste, au-delà de notre travail de graphiste 3D. L’ensemble est parfaitement homogène et je pense que nous avons su faire les bons choix pour que la technique reste au service de l’histoire.

Sylvain Favre : L’accueil est très bon en général. Le plus beau compliment pour moi est d’entendre que la personne a ressenti des frissons ou a été émue. C’était totalement notre but !

Adobe : Changeriez-vous quelque chose ?

Sylvain Favre : Il y a beaucoup de chose que j’aurais aimé finir pour avoir un résultat plus qualitatif. Le plus compliqué était le temps de production. On est donc allé au plus vite en ne sacrifiant que ce qui peut l’être et en se concentrant sur ce qui sert la narration, l’intrigue, le film tout simplement. Cette contrainte nous a également beaucoup appris mais il reste un petit peu la frustration d’avoir été forcé à bâcler le travail même si j’éprouve toujours du plaisir à regarder ce court métrage.

Maxime Hacquard : De mon point de vue, non. Je pense que c’est un film abouti. L’histoire fonctionne bien et nous avons réussi, je pense, à délivrer un message tout en faisant passer de l’émotion. Le plus compliqué a été le temps de production, qui était assez court. Sur une production plus longue, peut-être aurions-nous fait d’autres choix techniques pour avoir des rendus plus qualitatifs. C’était un énorme challenge pour nous, mais je pense que les compromis que nous avons fait ont été bons car ils n’ont pas desservi l’histoire.

Maxime Tiberghien : J’aurai aimé travailler la scène de l’explosion nucléaire autrement. Mais cette contrainte de temps nous a amené à nous poser les bonnes questions finalement, en priorisant la qualité de l’histoire et de l’émotion sur la prouesse technique.

Merci


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