Reflets : Quand la pub réconcilie le citoyen et le consommateur

Dans un monde en pleine transition, le consommateur a remplacé le citoyen comme acteur des changements sociétaux. Il prend de ce fait une nouvelle stature sociétale que les marques embrassent avec lui. Elle est caractérisée par une vérité incarnée qui peut se défendre visuellement par la pondération et la sobriété. Mais pas que.

En 2019, les marques qui touchent les consommateurs sont celles qui ont entendu leurs attentes et les ont devancées. Les marques ont une responsabilité citoyenne. En 2019, « sans elles le monde aura bien du mal à se transformer », complète Gilles Deléris, co-fondateur et directeur de création de l’agence W. Voilà pour l’anaphore de postulats. Car les marques questionnent désormais autant leur raison d’être que leur offre. Si une attention relationnelle ou un rôle sociétal fort, ainsi que la qualité et la performance sont devenues une dette minimum à honorer, c’est que le consommateur a remplacé le citoyen comme acteur des changements sociétaux. En réponse, les marques cherchent à bâtir des récits ancrés dans leur vérité. C’est le chemin qu’elles empruntent pour reconquérir une part de l’autorité qu’elles ont perdue.

« Alors elles nous racontent une histoire qui nous embarque, une histoire comme nous pouvions en écouter, racontée par nos parents. Ce sont des discours respectueux, des petits moments de qualité, de ceux qui font appel à notre intelligence, qui nourrissent à leur façon une part de notre culture », explique Gille Deléris. Dans le genre, le film de Buzzman pour Little Big Change sur les couches qui ont des choses à dire, en tout cas en voix off sur fond visuel de bébés expressifs, n’est pas mal non plus.


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LA SOBRIÉTÉ HEUREUSE, LA RÉPONSE DES MARQUES

La marque n’est donc plus contrainte de se concentrer sur une iconographie splendide avec des images tonitruantes. Elle doit plutôt être dans la pondération et l’authenticité. La tendance visuelle qui s’exprime aujourd’hui est claire : travailler sur la retenue et des choses très élémentaires. « _Il y a plusieurs façons d’adapter l’univers visuel de la pub au consommateur engagé mais le plus important lorsqu’on s’adresse à lui aujourd’hui c’est d’être crédible. Et pour être crédible, il faut être intelligible. C’est là que nous voyons apparaître des univers visuels spécifiques, comme par exemple des jeux de typographies pour appuyer le discours _», constate Loris Bernardini, head of social media chez Buzzman.

Les spots « Parlons peu, parlons poulet » de TBWA\Paris pour le poulet Label Rouge de McDonald’s appuie son propos : dans un style à la Michel Gondry ultra coloré et un peu barré, l’agence cale son montage d’images et des typographies sur la musique électro psyhédélique de Jarina De Marco. Un choix pas forcément naturel pour mettre en scène un poulet qui court, qui chante et qui joue même du piano. Mais qui fonctionne.

Comme le prouve la dernière campagne du PMU par Buzzman, le somptueux « Que les meilleurs gagnent », dans lequel les chevaux incarnent par leur nom de course un moment d’histoire épique mis en scène de façon hollywoodienne, il est encore possible d’être dans l’image tonitruante à condition que la narration donne de la densité au message. Le défi créatif est d’autant plus gargantuesque que la tendance « est de jouer la sobriété dans le contenu et le ton. Si les marques peuvent faire changer les choses, elles n’ont plus le pouvoir dans la relation avec le consommateur. Il faut se mettre parfois au même niveau, quitte à proposer des contenus qui frisent l’amateurisme, afin de créer de la connivence », développe Loris Bernardini.

Le paradigme du dénuement, les maisons de luxe au patrimoine fort et les plus caractéristiques, se le sont appropriées en cédant au « blanding ». Cette notion, qui en langue de Houellebecq signifie « fâde, sans goût », évoque l’épuration et la simplification de tous les univers de marque, qu’il s’agisse de formes ou de typographies. «_ Les marques de luxe ont abandonné́ leur ambition créative. La preuve, elles ont toutes changé leur identité graphique en passant en helvetica gras capital. C’est une communication visuelle pragmatique et sèche, une interprétation iconographique engendrée par le scepticisme du public sur la publicité _», confirme Gille Deléris.

Le DC de l’agence W cite alors la marque de commerce raisonné No Name comme un exemple de radicalité très simple du design face aux nouvelles attitudes de consommation.

L’ART POUR ÉCHAPPER À LA BULLE DE FILTRAGE UNIVERSELLE

Le blanding ne serait-il pas l’expression d’un phénomène de répétition? Après tout, « les créatifs du monde entier n’échappent pas à cette bulle de filtrage universelle que sont Pinterest et Instagram réunis. Les sources sont les mêmes pour tout le monde et on fait donc des mèmes toute la journée », confie Gilles Deléris.

Face à ce phénomène de mimétisme, comment émerger ? L’art comme inspiration est une réponse. « La pub n’a pas une mission militante, son job n’est pas de faire de l’art mais de s’en inspirer pour avoir comme les artistes un temps d’avance. L’art est un moyen d’échapper à la bulle grâce à son regard inattendu ultra nourrissant. Il provoque un questionnement utile, mais attention : les démarches artistiques sont, comme le disait Rimbaud de la poésie, en avance. Lorsque nous sommes trop en avance sur les codes, nous perdons nos publics », répond Gilles Deléris.

Cette nouvelle créativité publicitaire visuelle, plusieurs artistes la résument à merveille, dont l’architecte japonais Junya Ishigami, avec son rapport au paysage, et le photographe Chinois Ren Hang, exposé à la Maison Européenne de la Photographie, avec son questionnement audacieux de la relation à l’identité et à la sexualité. Les expositions « Le Modèle Noir », qui redéfinit le rôle des peintres, de l’art, de la représentation, de la chosification, et « De Kraftwerk à Daft Punk » à la Philarmonie de Paris ont aussi pu inspirer les créatifs.

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